L’approche verbale abusivement agressive des Etats-Unis envers la Chine, déclarant la guerre économique à l’Empire du Milieu sous la dénomination trompeuse de « guerre commerciale », masque la frustration de voir une translation du centre de gravité économique, technologique et militaire vers l’est. Ladite translation, quoique légère pour le moment, impose inéluctablement un changement de paradigme et procure une position relativement avantageuse à l’Afrique à condition que les décideurs du continent réussissent à tirer leur épingle du jeu.
L’escalade de tension à laquelle nous assistons entre les Etats-Unis et la Chine, que certains définissent comme Trade war ou guerre commerciale, n’est qu’un symptôme d’un malaise profond ; d’une guerre économique totale. Cette intensification du bras de fer trouve sa genèse dans cinq points clés : balance commerciale sino-américaine (déficit américain de 375,6 milliards de dollars en 2017), « Made in China 2025 » (problématique de la propriété intellectuelle), « One Belt, One Road Initiative » (OBORI) (nouvelle chaîne logistique globale), China Internet Plus (cybersécurité et Great Firewall) et le contrôle de la mer de Chine (zones maritimes contestées et construction d’îles artificielles).
Il faut sortir du piège de la distraction et du « politainment » avec le président Trump, dissocier le signal du bruit et négliger le ton en faveur du message de fond. Il s’agit d’un affrontement entre deux visions économiques (Nationalisme Economique vs. Mercantilisme Multilatéral), politiques (Etat-Nation vs. Etat-Parti) et sociétales (Communautarisme vs. Communisme) antagonistes du monde. En effet, la guerre économique transcende l’économie en tant que telle et met en œuvre un rapport de force entre deux acteurs dont chacun cherche à accroître sa puissance et imposer et/ou asseoir un ordre mondial à son avantage.
Afrique-USA : comment améliorer les relations économiques
Le président Donald Trump se positionne comme le défenseur ultime de l’ordre westphalien, d’une vision nationaliste et souverainiste à outrance où, dans un jeu à somme nulle, le seul moyen de gagner est que les autres perdent. Il ne cesse d’alimenter la base républicaine avec des discours et des déclarations confectionnant une représentation victimaire de la superpuissance américaine au sein du système global et en insistant sur une définition erronée de ce qu’est la balance commerciale. Il s’agit d’une ouverture pour nous, africains.
En effet, les Etats-Unis ont une balance commerciale favorable avec plusieurs pays du continent d’après les données de 2017, comme le Maroc et l’Egypte avec 1,53 et 1,84 milliards de dollars respectivement, ce qui offre une possibilité de récupérer les marchés perdus par la Chine à l’imposition des tarifs ou ceux que d’autres pays perdront en raison d’une balance commerciale leur étant favorable. Le Maroc pourrait exporter davantage de câbles isolés (49,7 M$ en 2016), d’agrumes (43,3 M$ en 2016) ou de poisson traité (43 M$ en 2016) profitant de son accord de libre-échange tandis que l’Egypte pourrait augmenter ses exportations de produits textiles (953 M$ en 2016) concurrençant les pays signataires de l’AGOA, la Turquie et notamment des pays d’Asie comme le Vietnam, le Cambodge et la Thaïlande.
Aussi, il est possible d’attirer les entreprises américaines puisque le transfert de technologie se ferait sans crainte d’un quelconque vol de propriété intellectuelle, tout en réduisant le coût d’exportation vers la Chine et vers les Etats-Unis. Faisant d’une pierre deux coups, les américains pourraient bloquer l’accroissement de la puissance chinoise dans certains pays dont la position géographique les rend indispensables pour la réussite de l’OBORI.
Finalement, l’Afrique pourrait devenir ce qu’était la Chine lors de son entrée à l’OMC en 2001, avec l’avantage de pouvoir tirer des conclusions de l’expérience chinoise ainsi que d’avoir un potentiel partenaire supplémentaire en la Chine.
Afrique-Chine et triptyque 3C : coopération, coopétition et compétition
La Chine, de son côté, aspire à bien plus que le maintien du statu quo. Le géant asiatique s’est bel et bien réveillé et, en mettant en œuvre la stratégie « Made in China 2025 » avec le soutien du China Internet Plus, cherche à dominer les secteurs clés d’avenir comme le sont les TIC avec la 5G que Huawei pourrait implémenter bientôt, les ordinateurs et satellites quantiques, la biotechnologie avec les avancées réalisées par le pays dans le programme Crispr-Cas9 qui le positionnent comme leader de l’ingénierie génétique et, finalement, les énergies renouvelables que les Etats-Unis ont incompréhensiblement abandonné depuis l’accès au pouvoir de Donald Trump. La stratégie étant un jeu d’allocation de ressources, la Chine devra céder pour se concentrer sur l’industrie 4.0, et c’est ici qu’entrent en jeu les pays d’Afrique, se positionnant dans un diagramme ternaire coopération/coopétition/compétition.
Certains pays du continent – dont l’infrastructure est moyennement développée – devraient accepter de jouer un rôle ingrat mais lucratif, en récupérant les industries d’aujourd’hui à travers un transfert de technologie, ou en accueillant les derniers maillons de la chaîne de valeur des produits chinois, le temps pour eux de se réinventer. Avec une telle disposition, ces pays seront des éléments critiques d’une chaîne logistique globale retracée, où la Chine éviterait les tarifs américains à travers un « Made in Africa » tout en continuant d’implémenter OBORI. D’ailleurs, armé du New Development Bank (anciennement appelé BRICS Development Bank) et de l’entité étatique Silk Road Fund, l’Empire du Milieu a construit au Sénégal une autoroute reliant Dakar et Touba comme partie d’un pôle industriel et point de départ en Afrique de l’Ouest, une voie ferrée entre le port de Dar Es Salam et Kigali et le Nairobi-Mombasa Standard Gauge Railway facilitant les échanges commerciaux avec l’Afrique de l’Est à travers deux ouvertures sur l’océan Indien.
D’autres pays devront tirer avantage de leur handicap d’absence d’infrastructures. La fabrication de la qualité étant moins chère que la correction de l’obsolescence, il serait plus facile pour les pays manquant d’infrastructures physiques et digitales de construire un écosystème 4.0 que pour d’autres pays qui devront mettre à niveau leurs infrastructures existantes. Des pays comme la RDC, la RCA et la Somalie ont tout à construire et, surtout, tout à négocier.
Enfin, il parait que la Chine dispose de toutes les armes pour gagner la guerre économique face aux Etats-Unis – limitation des IDE des entreprises américaines en Chine, affaiblissement du Yuan et l’arme ultime qu’est le dumping des bons du Trésor américain -, même si elle perdra pas mal de batailles sur le chemin. Aussi, l’Empire du Milieu est maître du temps, ce qui constitue un avantage remarquable lors des négociations. Dans cette conjoncture, les pays africains devront imaginer une nouvelle posture de diplomatie économique pour se maintenir à l’écart de la querelle politique entre les deux superpuissances tout en profitant de l’opportunité économique. Pour cela, une troisième voie se dessine comme facilitatrice : augmenter la complexité en introduisant l’Europe dans une nouvelle équation économique africaine.
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