Près d’un milliard d’urbains défavorisés n’ont pas accès à l’eau courante à domicile. Livreurs d’eau, bornes-fontaines, pastilles de chlore, les alternatives pour pallier ce fléau sont en grande majorité surtarifées. Dans un district de Niamey, la startup Citytaps, présente au Niger depuis 2016, s’est associée à la Société d’exploitation des Eaux du Niger (SEEN) pour garantir à plus de 10 000 personnes un accès sécurisé à l’eau courante. A long terme, la jeune pousse prévoit de couvrir 2 millions de personnes dans le monde.
Fort d’une expérience personnelle et professionnelle dans bon nombre de pays africains, Grégoire Landel se décrit comme humaniste, féministe et ingénieur de l’eau confronté à l’intolérable :«Je ne pouvais pas continuer à travailler dans ce domaine en sachant qu’un million de personnes n’ont pas accès à l’eau chez elles. Notre solution innovante a le potentiel pour améliorer de façon spectaculaire et quantifiable la vie et le bien-être d’un milliard de personnes».
C’est en observant les principales problématiques rencontrées entre les opérateurs d’eau des pays en voie de développement et les utilisateurs défavorisés que Grégoire Landel a eu l’idée d’un service de paiement par mobile.
Relié au seul compteur d’eau intelligent et prépayé au monde, le système s’accompagne d’un logiciel de facturation qui «aide les services publics à devenir financièrement indépendants et à investir dans l’infrastructure pour le service d’eau à domicile, même pour les résidents les plus pauvres. Les abonnés utilisent l’argent mobile pour payer à l’avance l’eau courante avec n’importe quel téléphone portable, à tout moment, pour n’importe quel montant, et optimiser le budget de leur ménage. L’eau courante à domicile est beaucoup moins chère, plus pratique et plus saine que n’importe quelle autre solution», explique à La Tribune Afrique le fondateur de CityTaps.
Même effectués de l’étranger, les paiements sont soumis à une faible taxation. Actuellement configuré pour fonctionner avec le système de paiement Orange Money, la plateforme flexible Citytaps peut accueillir tout autre moyen de paiement, dont les micros dons, pour subventionner de manière individuelle le foyer voulu. Une levée de fonds en cours sur Sowefund propose aux particuliers d’investir à partir de 100 euros. «Notre vision est susceptible d’intéresser les individus qui souhaitent faire le bien avec leur épargne», explique Grégoire Landel qui souhaite développer l’aide Nord-Sud.
«Un objectif fondamentalement humaniste»
Dans les pays émergents, l’accès à l’eau courante est souvent difficile, voire impossible pour deux raisons majeures : une grande partie des foyers n’est pas reliée aux réseaux d’eau courants existants ; d’autres sont dans l’incapacité d’honorer les factures mensuelles en raison de leurs revenus irréguliers.
«Les femmes et les filles passent plus de 200 millions d’heures pas jour à aller chercher de l’eau et 443 millions de jours d’école sont perdus en tout chaque année à cause des maladies hydriques. C’est donc un objectif fondamentalement humaniste», souligne Grégoire Landel.
Les autres alternatives, telles que les points d’eau publics ou les services de livraison, peuvent coûter jusqu’à 15 fois plus cher que l’eau courante pour une qualité moindre.
Au Niger, les 1325 compteurs mis en place par CityTaps devraient profiter à environ 13 000 personnes dans le cadre d’un partenariat avec l’opérateur Orange et la multinationale française Veolia. Cette dernière a signé une lettre d’intention pour acheter à la startup 15 000 compteurs en 2019, qui bénéficieront à 135 000 personnes.
Arnaud Brunelle, le directeur commercial de la startup, évoque «trois typologies de clients : les nouveaux abonnés ; les abonnées aux factures impayées ; et les abonnées classiques qui se rendent chaque mois à l’agence pour payer leur facture». Avec le système proposé par les opérateurs actuels, les abonnés en situation d’impayés peuvent voir leurs compteurs coupés définitivement et les dettes peuvent s’accumuler sur plusieurs mois. Le compteur intelligent proposé par Citytaps permet a contrario un contrôle à distance, dès lors que l’utilisateur procède à un paiement mobile. Les foyers endettés pourront s’acquitter de leurs dettes par le biais d’un échéancier de remboursement intégré au système. Un système qui leur permet de garantir une arrivée d’eau permanente et de rembourser chaque mois de petits montants.
Une solution objet au potentiel mondial
Pour faire fonctionner le système, l’abonné achète des crédits de consommation via le mobile money avec n’importe quel téléphone et n’importe quand. Les paiements sont ensuite reçus dans le cloud géré par la startup et crédités sur le compte de l’abonné qui peut ensuite recevoir l’eau. Le cloud, quant à lui, envoie les données au compteur qui ouvre la vanne et envoie l’index consommé en retour.
«L’eau est un des rares biens où il y a une véritable relation symbiotique entre fournisseurs et abonnés. La relation doit être axée sur la confiance mutuelle», explique Grégoire Landel.
Selon l’International Water Association (IWA), 35 à 60% de l’eau pompée par les opérateurs ne parvient pas à destination des utilisateurs. Un gaspillage qui peut s’expliquer par «le sous comptage, le vol ou détournement d’eau mais aussi les fuites», ajoute Grégoire Landel.
Le compteur intelligent se met à jour toutes les 30 minutes et prévient l’utilisateur en cas de fuite, de surconsommation ou à l’approche de la date d’expiration de son crédit. Et si la facture à payer est trop importante, elle se cumule alors sur plusieurs mois pour éviter une coupure définitive. Pour avertir les consommateurs, CityTaps mise avant tout sur le téléphone portable. C’est par SMS que les informations sont envoyées par l’opérateur d’eau. «Le taux de pénétration que l’on obtiendrait avec une application smartphone n’est pas assez profond, le client doit pouvoir interagir avec son opérateur avec un simple mobile», ajoute le directeur Grégoire Landel, qui envisage tout de même le développement d’une application dans un futur proche.
Chaque année, la population africaine augmente de 5% et la tendance mondiale à l’urbanisation exerce davantage de pression sur les infrastructures de distribution d’eau. La startup est actuellement en discussion avec une quinzaine d’opérateurs d’eau sur tous les continents. À Dakar, un projet pilote va aussi être lancé pour le déploiement de 6 compteurs le mois prochain avec un fort potentiel sur le marché sénégalais.
A terme, CityTaps envisage un déploiement en Afrique avec pour ambition d’impacter 200 000 personnes d’ici fin 2019 et plus de 2 millions de personnes d’ici fin 2022, grâce à son actuelle levée de fonds sur Sowefound. Une levée qui devrait faire passer le nombre d’utilisateurs de 2 000 à 200 000 et employer 6 nouveaux collaborateurs pour devenir rentable en 2021.
(Source : https://afrique.latribune.fr)