Le prix du baril de pétrole devrait avoisiner les 100 dollars d’ici la fin de l’année, selon les prévisions. En Afrique, les pays producteurs de pétrole s’en frottent les mains, alors que les importateurs du brut plus nombreux réfléchissent déjà à des mécanismes pour combler les déficits. Le tableau dresse l’illusion des gagnants et des perdants. Mais la réalité est toute autre selon des spécialistes qui évoquent « un jeu à somme nulle » pour l’Afrique où les seuls gagnants seraient les intermédiaires à moins que les Etats ne décident d’instaurer une meilleure gestion des ressources.
Les prix du pétrole maintiennent leur trend haussier sur les marchés mondiaux depuis le début de l’année. Le baril de Brent de la mer du Nord, référence du marché mondial se négociait à 84 dollars à Londres, ce mardi 9 octobre. De quoi booster les recettes d’exportation des économies africaines productrices de pétrole et profondément affectées par la dernière baisse des prix de la période 2014-2016. Ces pays sont principalement le Nigéria à peine sorti de la récession, l’Angola bientôt sous perfusion du FMI, ou encore l’Algérie qui a sérieusement entamé ses réserves de change pour compenser la baisse de ses recettes.
Retour des devises de la rente pétrolière
La tendance va aussi conforter l’économie ghanéenne en phase de redressement, mais qui a du solliciter l’aide du FMI au cours de ces dernières années. La hausse des prix du brut va garnir les caisses de ce pays détenteur de la meilleure croissance africaine prévue en 2018, et qui, espère se soustraire de la tutelle du FMI dès l’année prochaine. Idem pour l’Egypte dont l’économie a subi de plein fouet la crise pétrolière. Laquelle, combinée aux effets des troubles politiques de 2011 sont à l’origine d’une douloureuse cure d’austérité et des réformes sous l’égide du FMI, dont les résultats positifs commencent à se faire sentir.
La hausse qui devrait se maintenir jusqu’en 2019, selon les analystes, est également de bonne augure pour la région CEMAC où la croissance est en berne depuis bientôt cinq. En effet, les économies de la zone sont très dépendantes des exportations notamment au Gabon, en RDC, au Tchad, au Congo, en Guinée Equatoriale et dans une moindre mesure au Cameroun. Un baril au plus fort fera également l’affaire d’autres pays africains dont les finances sont très dépendantes de leurs recettes pétrolières, à savoir les deux Soudans, et dans une moindre mesure de petits producteurs de pétrole comme le Niger, l’Afrique du Sud, la Côte d’Ivoire, la Tunisie…. Néanmoins, la majorité des 54 pays africains ne sont pas producteurs de pétrole.
Des budgets se creusent
Si les pays africains producteurs se réjouissent de la hausse des cours, les pays non pétroliers quant à eux devront faire face à une forte dégradation de leur trésorerie pour compenser les surplus à s’acquitter pour assurer une fourniture en hydrocarbure. C’est le cas de la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest (le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso, la Gambie, le Bénin, le Togo, les deux Guinées Bissau et Conakry, le Libéria, la Sierra Leone…). En Afrique du nord, le Maroc où la loi des finances 2018 est bâtie sur l’hypothèse d’un baril à 60 dollars sera impacté. C’est également le cas de nombreux pays d’Afrique de l’Est dont l’Ethiopie, la Tanzanie, le Rwanda… ou encore d’Afrique australe notamment, la Zambie, la Namibie, le Botswana… Mais tous les pays africains ne sont pas logés à la même enseigne en termes de résilience face aux chocs exogènes.
Une question de résilience face aux chocs
A la fois pour les pays producteurs et non producteurs de pétrole, l’impact de la hausse des prix du pétrole dépendra de la gestion financière.
« La hausse annoncée va améliorer l’économie des pays producteurs de pétrole, et si la hausse persiste, ils pourraient rentrer dans une dynamique de croissance, mais à condition que ces pays n’aient pas déjà vendu leurs cargaisons de pétrole, en avance», a averti l’analyste économique Gabonais Mays Mouissi.
Une pratique courante régulièrement pratiquée en Afrique. « Le Congo Brazzaville par exemple a eu des difficultés avec le FMI. Le pays a vendu par anticipation un certain nombre de cargaisons de pétrole. Ils ont eu un certain nombre de dettes liées au pétrole qu’ils ont caché et qui ont été découvertes avec la chute des prix du brut » a-t-il précisé.
Ailleurs, pour les pays importateurs de pétrole, l’impact dépendra des politiques de compensation mises en place. « Le pétrole est une matière première qui se paie en devises, en dollars essentiellement. Donc, la hausse va réduire les devises de ces pays, peut impacter la croissance et les prix à la consommation des citoyens lambda de ces pays », selon Mays Mouissi.
Conscients de la volatilité des prix du pétrole, quelques pays africains ont mis en place des mécanismes, des systèmes de réserves et de compensation. « Pour ces pays, tant que la variation des prix est raisonnable, le système arrivera à absorber le choc. Mais si les variations sont trop fortes, les mécanismes mis en place ne permettront pas d’absorber le choc », précise Mays Mouissi. Sur ce point, Mahaman Laouan Gaya, le Secrétaire général de l’Organisation des pays africains producteurs de pétrole, African Petroleum Producers Organization (APPO) est encore plus tranchant.
L’impératif de la bonne gouvernance
Il estime que l’impact des fluctuations du prix des hydrocarbures sur les économies des pays producteurs-exportateurs renvoie toujours au sempiternel problème de bonne gestion des matières premières. « A priori, la fluctuation du prix du pétrole peut sembler comme une sorte de jeu à somme nulle pour l’Afrique », explique Gaya. Autrement dit, quand les exportateurs nets gagnent en recette à l’occasion de la montée des prix des matières premières, les importateurs dépensent davantage, donc perdent plus d’argent, et inversement.
« On constate que pour les producteurs-exportateurs de pétrole africains, quand les prix montent, ça fait l’affaire des multinationales qui sont dans les opérations de l’amont (…) (Shell, Total, Esso, BP,…). Quand les prix baissent ça fait aussi l’affaire des multinationales qui interviennent dans les opérations de l’aval pétrolier, le raffinage, la distribution (Shell, Total, Esso, BP,…) qui tirent leur épingle du jeu » a-t-il détaillé. Sous cet angle, que les prix montent ou descendent, les pays africains ne gagnent pas substantiellement à cause d’une mauvaise négociation des contrats pétroliers.
« Nous n’avons pas de spécialistes en négociation des contrats pétroliers. Par peur de transparence, ce sont souvent des politiciens qui négocient pour nos Etats, si ce ne sont pas des consultants originaires des pays occidentaux. Alors, tant que la question de la gouvernance n’est pas réglée, la porte restera toujours ouverte pour les mauvaises négociations, la corruption, l’achat de conscience » a conclu le SG de l’APPO.
(Source : https://afrique.latribune.fr)