Les 27 et 28 novembre derniers, le Forum Smart City du Grand Paris a réuni entrepreneurs et personnalités politiques, autour des nouveaux modèles économiques pour une transformation urbaine « zéro carbone ». Un enjeu qui n’échappe pas au continent : entre pression démographique et urgence climatique, la métamorphose des villes africaines est amorcée…
Face à la pression démographique, l’Afrique repense l’aménagement de ses villes dont la population sera multipliée par deux d’ici 2025 (187 millions d’habitants), pour atteindre 1 milliard d’habitants en 2050. Le continent devra redoubler d’efforts afin de relever des défis urbains protéiformes, comprenant les infrastructures, l’énergie, l’alimentation ou encore l’emploi, sur fond de développement durable.

Un vaste programme au regard des 12 millions d’actifs supplémentaires qu’enregistre chaque année le marché africain, et des 640 millions de personnes qui n’ont pas accès à l’énergie. Par ailleurs, les investissements nécessaires au renforcement des infrastructures atteignent des sommets compris entre 130 et 170 milliards de dollars par an, selon les perspectives économiques Afrique 2018 de la Banque Africaine de Développement (BAD).

Le continent, responsable de 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES), doit également intégrer la question climatique dans ses projets urbains, un indicateur-clé qui menace en effet, d’amputer son PIB de 2 à 4% d’ici 2040. Or, le dernier rapport annuel sur l’action climatique mondiale du Programme des Nations-Unies pour l’Environnement (PNUE) estime que l’écart est «catastrophique» entre les promesses nationales prises dans le cadre de l’Accord de Paris pour limiter les émissions de GES, et les réductions nécessaires pour maintenir le réchauffement en dessous de 2°C. En l’état actuel des choses, la température devrait grimper de +3 °C à «l’horizon 2071-2100 », menaçant l’Afrique d’une désertification accélérée qui, d’après la BAD, serait dans l’incapacité de produire plus de 13% de ses besoins alimentaires d’ici à 2050. « Il est urgent de répondre au défi alimentaire et notamment, en développant l’agriculture périurbaine » a insisté Jean-Michel Huet de BearingPoint, à l’occasion du Forum Smart City du Grand Paris.

L’impératif désengorgement des capitales africaines
« Un milliard de citadins, un million de défis, la ville intelligente africaine à la croisée des chemins » : tel était le titre de la session Afrique du Forum Smart City, tant les enjeux urbains sont divers. Cependant, toutes les métropoles africaines sont concernées par la réorganisation de leur espace, y compris l’attractive capitale kenyane. Nairobi a vu sa population doubler en 15 ans, en raison notamment de son expansion informelle, illustrée par le township de Kibera, qui abrite une population toujours plus nombreuse, dépourvue de chaussée, d’eau courante et d’électricité. La ville fait également face à de nombreuses difficultés de circulation qui, selon l’ONU-Habitat, coûteraient 578.000 dollars en perte de productivité par jour. Se déplacer à Nairobi relève d’un véritable parcours du combattant où la patience est de mise, dans un quotidien rythmé par les embouteillages…

De l’autre côté du continent, Romain Kouakou, Directeur Général des Transports terrestres et de la circulation de Côte d’Ivoire a également souligné lors du forum, le coût lié aux « problèmes de circulation -qui- représentent près de 400 millions d’euros de perte par an ». L’augmentation de la classe moyenne ivoirienne s’est accompagnée du triplement du nombre de voitures, sur les vingt dernières années mais le trafic exponentiel n’a pas été suivi d’aménagements adaptés. Résultat : Abidjan est aujourd’hui une capitale économique dotée d’un réseau routier saturé. La situation n’est guère plus favorable chez sa voisine anglophone car, d’après une étude réalisée par le professeur Jonathan Annan de l’Université Kwame Nkrumah en 2017, les problèmes de circulation à Accra, la ville du « go slow », feraient perdre chaque année, 8,2% de PIB au Ghana.

Pour s’inscrire dans des schémas « smart », les villes africaines devront donc relever le défi de la circulation urbaine car, au-delà de Nairobi ou d’Abidjan, la plupart des capitales sont non seulement engorgées mais aussi polluées: d’Addis-Abeba à Dakar, de Lagos à Johannesburg et de Conakry à Tananarive.

Les projets smart boostés par l’urgence climatique
A l’occasion de la COP24 à Katowice en Pologne, Antonio Guterres, le Secrétaire général des Nations Unies, a interpellé la communauté internationale sur l’urgence climatique: « Même si nous sommes les témoins d’impacts climatiques dévastateurs provoquant le chaos à travers le monde, nous ne faisons toujours pas assez, nous n’allons pas assez vite (…) Pour beaucoup de gens, de régions et même de pays, c’est déjà une question de vie ou de mort ». Une alerte reçue 5 sur 5 en Afrique qui, malgré l’envergure des investissements requis et, en dépit des engagements aléatoires des signataires de l’Accord de Paris, maintient ses efforts de transformation « smart ».

La technologie apparaît d’ailleurs comme synonyme de leapfrog urbain et les projets de « villes intelligentes » se multiplient. Konza, la Silicon Savannah kenyane pourrait bientôt attirer de nouveaux acteurs en pays massai. Située à 60km de Nairobi, la ville abritera 35.000 logements, une université et devrait générer plus de 200.000 emplois. Hyper-connectée, Konza collectera des données à partir d’appareils intelligents et de capteurs intégrés à l’environnement urbain. Elle ne sera pas seule dans la course aux « cités du futur » africaines: le Rwanda (Innovation City), le Maroc (Casablanca), la Tunisie (Bizerte), le Sénégal (Diamniadio), l’Ile Maurice (Smart Mauritius) ou encore l’Egypte (Le Caire), entendent bien tirer leur épingle du jeu…

Les smart cities africaines, reflètent l’engagement des pouvoirs publics centraux, séduisent les bailleurs internationaux dont le respect des Objectifs de Développement Durable (ODD) demeure une priorité, et attirent les investisseurs internationaux, enthousiasmés par des projets hors-norme. « On gagne beaucoup d’argent en Afrique et les retours sur le capital investi sont rapides » a d’ailleurs rappelé Patrice Fonlladosa, président du Medef Afrique et DG de Véolia Afrique et Moyen-Orient, lors du Forum Smart City.

Des smart cities adaptées aux réalités africaines
« Que doit-on faire pour avoir des villes intelligentes en Afrique ? » a interrogé Romain Kouakou lors du panel consacré à l’Afrique, rappelant ainsi qu’il n’existe pas de modèle « clé-en-main ». « Combien d’enfants ne disposent pas d’école à moins de 10km de chez eux ? » poursuit le directeur des transports ivoirien, car parler « smart » c’est avant tout, apporter des solutions concrètes pour améliorer les modes de vie urbains. Néanmoins, les grands travaux d’aménagement, engagés depuis plusieurs années en Côte d’Ivoire (pont, routes, tramway) sont en passe de transformer Abidjan, qui pourrait dans un futur proche, se laisser inspirer par l’initiative d’inwi…

Inwi, la société marocaine qui a développé le wifi très haut débit dans le tramway de Casablanca, a été gratifiée du Grand Prix Smart City Africa Network and Mobility. Parmi les lauréats des prix Smart Cities Africa 2018, l’association Bizerte 2050 en charge de concevoir la première smart city tunisienne a été récompensée par le prix Local Governance et Orsay Promotion a reçu le Prix Bâtiments innovants. « J’ai conceptualisé un produit qui s’adapte à toutes les stratégies» explique Jean-François Sanchez, DG de Orsay Promotion, qui fabrique des maisons à base d’acier recyclé et de produits reconditionnés, aujourd’hui à destination du Sénégal, et qui compte bien demain, se déployer dans d’autres pays d’Afrique. Enfin, Wo’Mixcity a reçu le prix Tech for good, pour son initiative consacrée à l’émergence de projets basés sur le tryptique : femme, digital et climat. « Servons-nous de ce que l’Afrique n’a pas connu comme dérive pour oser des initiatives innovantes : un nouveau scénario est possible !» a déclaré Carole Maurage, fondatrice de Wo’Mixcity.

L’Afrique sur la voie des villes « smart », reste connectée aux réalités locales, car la réussite des projets engagés, passera aussi par les transferts de compétences et de technologies. Il lui faut donc s’adapter au plus vite car, comme l’a rappelé prosaïque, le Dr. Issoufou Kogui N’Douro, ancien ministre de la Défense du Bénin : « Demain, le monde sera complètement digitalisé, qu’on le veuille ou non ! »
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