(Ecofin Hebdo) – Dans le secteur des hydrocarbures en Afrique, on les appelle les nations émergentes. Depuis quelques années, les découvertes de gaz qui se multiplient sur leurs territoires, les préparent à un destin de grands exportateurs. Il s’agit notamment du Sénégal, de la Mauritanie et du Mozambique. Le point sur le cas mauritanien, pays situé dans le bassin MSGBC (Mauritanie, Sénégal, Gambie, Bissau, Guinée Conakry) dont les dernières découvertes de gaz naturel sont classées dans la catégorie « classe mondiale », ce qui lui confère la possibilité de devenir un acteur majeur de l’approvisionnement mondial, d’ici les 4-5 prochaines années. La croissance tirée de l’exploitation de ces gisements devrait, à terme, améliorer l’environnement économique et financier national.
Déjà producteur de pétrole
Contrairement au Sénégal (évoqué dans la première partie de ce dossier), la Mauritanie est, depuis le deuxième semestre de 2005, un pays producteur de pétrole. Un producteur marginal cependant, car on estime la production journalière du pays dans la fourchette de 4000 à 8000 barils. Ce volume est uniquement extrait du champ Chinguetti, situé à 65 km au large de Nouakchott.
Un producteur marginal cependant, car on estime la production journalière du pays dans la fourchette de 4000 à 8000 barils. Ce volume est uniquement extrait du champ Chinguetti, situé à 65 km au large de Nouakchott.
La production y entame une phase de déclin depuis 2006. Au lancement des activités, les partenaires s’attendaient à une production à plein régime de 75 000 barils sur une base journalière. D’après un document du ministère en charge des hydrocarbures, daté de septembre 2016, « la production sur cette concession enregistre de nombreuses fluctuations et n’est presque jamais stable ». Le dernier trimestre de 2016 marque le début de la chute prononcée de la production sur place. La production y était en moyenne de 4813 barils par jour contre 4941 au trimestre précédent. Ce sont d’ailleurs les plus mauvaises performances du site depuis son entrée en production.
Cela pose de véritables problèmes pour les recettes publiques qui ne perçoivent quasiment jamais les revenus pétroliers escomptés. Cette situation, conjuguée à la baisse des prix du pétrole sur les marchés, va également fragiliser les exploitants du périmètre qui affirment que le champ n’est plus rentable. Au cours de l’exercice clos le 31 décembre 2016, Sterling Energy, un partenaire de la Société publique du pétrole (SMHPM), y a enregistré une perte de 2 millions de dollars et une autre de 0,97 million de dollars au 30 septembre 2017. Ses responsables qui ont commencé à envisager un retrait du champ ont indiqué que la valeur future des coûts de démantèlement s’élève à 31,4 millions de dollars et qu’ils s’engageront à verser cette somme au gouvernement.
La firme britannique n’a pas d’intérêt direct dans Chinguetti, mais elle finance la société publique qui contrôle 12% de parts dans le périmètre. Les deux parties se partagent donc les revenus et les coûts liés à cette participation. En janvier 2018, elle a rompu son accord de financement avec la SMHPM, en raison des mauvaises performances du champ. En janvier 2019, la société britannique de services pétroliers Expro a remporté un contrat pour fournir un système d’élévateur d’intervention (IRS) pour le bouchage et l’abandon de Chinguetti.
Le déclin de la production sur le site a provoqué la colère des autorités, car l’arrivée à maturité du site était initialement prévue pour plus tard, dans les années 2020. Mais la campagne de recherches qui se déroule dans l’offshore redonne le sourire aux autorités.
Le déclin de la production sur le site a provoqué la colère des autorités, car l’arrivée à maturité du site était initialement prévue pour plus tard, dans les années 2020. Mais la campagne de recherches qui se déroule dans l’offshore redonne le sourire aux autorités qui ont désormais le regard tourné vers l’avenir.
Avec ses réserves de gaz qui dépassent alors les 25 Tcf, le pays est pressenti pour devenir, avec le voisin sénégalais, l’autre Qatar africain du domaine.
De vastes gisements de gaz
Comme au Sénégal voisin, les découvertes de gaz ont permis de signaler un potentiel de ressources récupérables supérieures à 25 Tcf. A partir de 2015, Kosmos Energy et ses partenaires vont commencer à mettre la main sur des ressources clés dans les eaux mauritaniennes.
Tortue-1 en sera la première. Elle a été révélée par Kosmos sur le bloc offshore C-8 au large de la Mauritanie, qui fait partie du complexe Grand Tortue. Il est logé à une profondeur d’eau de 2 700 mètres, à 285 km au sud-ouest de Nouakchott.
Tortue-1 a été foré jusqu’à une profondeur de 4630 mètres. Le puits Tortue-1 aussi appelé Ahmeyim-1 a rencontré un système net d’hydrocarbures long de 107 mètres. L’entreprise a aussi précisé qu’il a été découvert une « zone composée de trois réservoirs d’excellentes qualités de 88 m d’épaisseur dans un intervalle d’hydrocarbures de 160 m, entrecoupé dans le Cénomanien inférieur et d’une quatrième zone épaisse de 19 m dans un intervalle d’hydrocarbures de 150 m, dans un objectif secondaire du Cénomanien supérieur ». Cela fait d’office de Tortue, la plus grande découverte de gaz au large de l’Afrique de l’Ouest.
Kosmos Energy détient 60% sur les zones de contrat de partage de production des blocs contigus C-8, C-12 et C-13.
Cela fait d’office de Tortue, la plus grande découverte de gaz au large de l’Afrique de l’Ouest.
Le deuxième périmètre de classe mondiale du pays est Marsouin-1. Il représente la deuxième plus importante découverte de gaz de Kosmos Energy dans le pays. Il a été opéré sur le bloc C-8 qui est situé à 60 km au nord de Tortue-1 et les résultats préliminaires ont affiché une rémunération nette de gaz de 70 mètres dans des intervalles du cénomanien supérieur et inférieur renfermant des « sables pétrolifères d’excellente qualité », explique un communiqué de la direction.
Le puits Ahmeyim-2, situé à environ 5 km au nord-ouest des côtes de Nouakchott, et 200 mètres en aval-pendage du puits Tortue-1, dans le complexe Grand Tortue est la troisième plus importante découverte du pays. Le puits a été foré à une profondeur de 5 200 mètres et a rencontré 78 mètres nets de gaz dans deux réservoirs dans le Cénomanien inférieur et dans l’Albien sous-jacent. C’est 46 mètres dans le Cénomanien inférieur et 32 mètres de l’Albien.
Il démontre aussi la communication de la pression statique entre Tortue-1 et Guembeul-1, découverte sur le même trend du côté sénégalais.
Enfin, le lundi 28 octobre 2019, un nouveau programme de forages de Kosmos et de son partenaire BP, a permis de découvrir un immense gisement de gaz dans la région de BirAllah en eaux profondes mauritaniennes. Il s’agit du puits Orca-1, qui selon les analystes « joue hors compétition » avec une première estimation moyenne de 13 tcf. C’est d’ailleurs la plus grosse découverte de gaz naturel en eaux profondes de l’année. Elle vient doper les estimations de ressources récupérables du projet Grand Tortue Ahmeyim. Kosmos et BP signent ainsi un taux de réussite de 100% sur neuf puits forés dans la région. Pour rappel, Orca-1 qui est situé à environ 125 km au large, a été foré jusqu’à environ 5266 mètres de profondeur, dans des profondeurs d’eau d’environ 2 510 mètres. « Le puits Orca-1 conclut une très bonne année d’exploration et d’évaluation en Mauritanie et au Sénégal. Orca-1, que nous considérons comme la plus grande découverte d’hydrocarbures en eau profonde au monde jusqu’à présent cette année, démontre une fois de plus la qualité du bassin gazier mauritanien à l’échelle mondiale », a commenté Andrew Inglis, le patron de Kosmos.
Les découvertes de gaz réalisées dans la large structure géologique Grand Tortue sont estimées, à ce jour, à plus de 50 Tcf de gaz. Mais les géologues de Kosmos Energy laissent entendre que les réserves pourraient contenir jusqu’à 100 Tcf de gaz. C’est près de trois fois supérieur aux réserves du Zohr (32 Tcf), le plus grand gisement de gaz jamais découvert en Méditerranée et qui a propulsé depuis 2016, la production égyptienne de gaz naturel.
Mais les géologues de Kosmos Energy laissent entendre que les réserves pourraient contenir jusqu’à 100 Tcf de gaz. C’est près de trois fois supérieur aux réserves du Zohr (32 Tcf), le plus grand gisement de gaz jamais découvert en Méditerranée et qui a propulsé depuis 2016, la production égyptienne de gaz naturel.
Ils estiment aussi que le périmètre contient de vastes gisements d’or noir susceptibles de satisfaire la demande régionale et de faire du Sénégal et de la Mauritanie de grands exportateurs nets de pétrole.
Sénégal – Mauritanie : un destin gazier commun
Etant donné que le Sénégal et la Mauritanie enregistrent à leurs frontières maritimes d’importantes découvertes de gaz naturel, ils ont décidé, en avril 2016, de développer ensemble les ressources gazières du complexe Grand Tortue, situé à cheval sur leur frontière maritime. Un protocole d’accord de coopération a été signé dans ce sens entre l’américain Kosmos Energy et les deux compagnies d’Etat en charge des hydrocarbures, Petrosen du Sénégal et SMHPM de la Mauritanie. Les bénéfices seront partagés de façon équitable entre les deux parties.
Selon des analystes, « les réserves en présence sont suffisantes pour transformer et la Mauritanie et le Sénégal en exportateurs nets de gaz naturel, tout en assouvissant les besoins électriques et gaziers des deux pays ».
«Les réserves en présence sont suffisantes pour transformer et la Mauritanie et le Sénégal en exportateurs nets de gaz naturel, tout en assouvissant les besoins électriques et gaziers des deux pays».
D’ailleurs, Kosmos a expliqué que le gaz extrait permettra de produire du gaz naturel liquéfié (GNL) pour les marchés émergents, dont principalement ceux de l’Asie. Si le projet devrait démarrer entre 2022 et 2023, avec une installation initiale de liquéfaction dont la capacité sera de 2,5 Mtpa, plusieurs autres unités de liquéfaction verront le jour dans les années qui suivront. Ensemble, elles porteront la capacité de liquéfaction dans les eaux sénégalo-mauritaniennes à 10 Mtpa. A noter que la première unité de liquéfaction sera située à environ 8 km des côtes de Saint Louis.
BP et Kosmos, qui pilotent le projet, comptent en effet adopter une approche par étapes et à petite échelle pour assurer le développement de ces ressources. « C’est la façon la plus rapide et la plus compétitive pour les deux pays de commencer les exportations de GNL et livraisons de gaz au marché domestique », explique Kosmos.
Par ailleurs, Kosmos a effectué une analyse qui suggère que, sur une période de 30 ans, cette première phase contribuera pour 30 milliards de dollars au PIB de ces deux pays. En Mauritanie, le gouvernement estime que cela devrait faciliter les investissements dans les infrastructures, les écoles ou encore les hôpitaux, avec la création de 5000 nouveaux emplois directs et indirects.
Kosmos a effectué une analyse qui suggère que, sur une période de 30 ans, cette première phase contribuera pour 30 milliards de dollars au PIB de ces deux pays.
Avec les autres phases de développement de la ressource, ces avantages devraient se multiplier. Fin mars 2017, la compagnie a entamé la deuxième phase de son programme de forages dans les eaux des deux pays. Kosmos Energy a dit espérer atteindre, au terme de cette seconde phase, un minimum de 50 Tcf de gaz naturel. Il s’agira pour les exploitants du complexe Grand Tortue de produire en eaux très profondes, environ 2700 m, et déplacer ce gaz le long de plus de 100 km de flowlines jusqu’à une installation modulaire de production de GNL.
Dans un rapport datant de 2017, Ecobank a recommandé aux deux pays de faire des efforts pour doter l’ensemble de la chaîne de valeur énergétique des installations nécessaires à chaque partie du développement. L’institution met ainsi en exergue la construction d’une nouvelle raffinerie de pétrole pour mieux rentabiliser l’exploitation de l’or noir, extrait sur place.
La Mauritanie est prête
Comme le Sénégal, le gaz mauritanien pourra permettre à l’Etat de gagner de l’argent grâce à trois canaux : via la société publique des hydrocarbures, via sa part dans la production et via les impôts.
En 2006, au démarrage de sa production pétrolière, le pays s’est doté d’un fonds souverain dénommé le Fonds national des revenus des hydrocarbures (FNRH) qui a une valeur de 300 millions de dollars.
La création de ce fonds survient après que le pays ait adhéré en 2005 à l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE). L’Initiative exige du gouvernement de rendre publics tous les paiements reçus des entreprises qui investissent dans le secteur pétro-gazier.
« Cela réduit considérablement les possibilités de corruption à grande échelle […] Les entreprises étrangères sont tenues de déclarer tous les versements effectués au profit de l’Etat et font l’objet d’audits publics par des cabinets internationaux », explique l’économiste mauritanien Isselmou Ould Mohamed.
Selon Nouakchott, les revenus de l’exploitation du gaz seront placés dans le fonds souverain et investis pour le bénéfice des générations futures. Celles-ci bénéficieront ainsi d’un meilleur système d’éducation, de santé, des infrastructures adéquates, d’un environnement économique meilleur, etc.