Après 27 ans dans le conseil, l’audit et la gestion des risques en tant que risk manager de formation, Dame Mbaye s’est investi depuis 2004 dans la finance islamique et, précisément, dans l’assurance islamique dénommée Takaful. En plus d’être Président du cabinet Fawzeyni Finance and Invest, spécialisé dans les métiers de l’assurance islamique, il est aussi président fondateur du Cabinet ouest-africain du courtage en assurance, en réassurance et dans tous les métiers liés à l’assurance. Cet assureur aux multiples casquettes (il est aussi consul honoraire du Liberland), a abordé la question de l’assurance islamique dans l’espace CIMA.
Alors que s’ouvre les assemblées générales de la FANAF, peut-on dire que l’assurance islamique est la grande oubliée de cette conférence et des autres rencontres africaines sur l’assurance ?
Je ne dirai pas oubliée en tant que telle, mais l’assurance islamique était l’absente la plus présente des rencontres pour la simple raison que la CIMA (Conférence interafricaine des marchés d’assurance) n’a jamais cessé de réfléchir sur la réglementation visant le Takaful. Pour preuve, on a vu, le 10 octobre 2019, l’avènement du livre 9 réglementant les opérations de l’assurance islamique. C’est la preuve que cela n’a jamais été oublié. C’est parti, les gens peuvent à présent opérer sur la finance islamique et il y a très belles opportunités pour nous autres.
Quelle est la portée de cet article 9 ?
C’est très important quand on voit l’importance actuelle de la finance islamique de par le monde. Le Takaful qui n’est pas du tout récent, (la technique existe depuis que l’Islam existe et sous sa forme moderne depuis 1979 au Soudan), est aujourd’hui une industrie qui est en train de croître avec à son actif 240 compagnies de Takuful à travers le monde. Effectivement, l’Afrique est un peu en reste de cette technique d’assurance, qui favoriserait une bonne pénétration du marché. Les plus sceptiques à l’assurance pourront y trouver leurs comptes, parce qu’ils ne sont pas souvent très emballés du fonctionnement de l’assurance conventionnelle. Le Takaful ne représente par contre que 2% du marché islamique qui cumule un volume plus de 2500 milliards de dollars à travers le monde, concentré sur la Malaisie, le Golfe Arabo-persique, le Soudan, l’Afrique du Sud. Même des pays non islamique comme la Chine ou le Japon se sont ouverts au concept du business Halal.
Est-ce à dire que la croyance selon laquelle l’assurance islamique est réservée aux musulmans est caduque ou elle n’a pas lieu d’être ?
Je choque souvent dans mes propos quand je dis «l’assurance islamique n’est pas une question de religion». Les musulmans y gagnent parce que c’est puisé dans la Charia. En fait tous les usagers y gagnent car le principe qui régit cette finance est basée sur le partage des risques et des profits. Lors de la crise financière de 2007-2008, il a été constaté que les institutions financières ont été largement épargnées. A cet effet, tout le monde s’est posé la question à savoir : comment ces institutions ont pu tenir durant cette période ? Par la suite, les gens se sont rendus compte que les règles chariatiques étaient des règles de transparences, d’éthique et de non-spéculation. C’est pourquoi je dis que la finance islamique est une finance qui intéresse toute personne éprise d’équité, de justice et de transparence.
Mais c’est quand même la mosquée qui donne la conformité, la «Charia compliance», et non l’Église ?
Non, on ne peut pas dire que c’est la mosquée qui donne la conformité. La Charia Board est une commission de conformité. Effectivement, comme je le disais tantôt, les musulmans y gagnent parce que le soubassement du concept est islamique. Mais je peux vous dire que beaucoup de pays non musulmans pratiquent la finance islamique. Je peux vous citer comme exemple l’Angleterre, première place de la finance islamique dans le monde avec des banques islamiques. C’est pour dire que la finance islamique est juste une technique pour faire le business dans l’islam. Les gens se rendent compte qu’avec la loi chariatique, les choses se passent très bien. C’est un sujet que nous avons abordé lors de notre séminaire du 17 au 20 janvier à Dakar en présences autorités et du diocèse de Dakar.
Finalement, la finance islamique est la finance alternative ou finance éthique tout simplement ?
Oui, en quelque sorte. C’est la finance éthique, solidaire, sans intérêt. Comme j’ai pour habitude de le dire, c’est la finance pour tous.
En considérant les émissions de Sukuk, on a l’impression qu’il y a des marges très importantes qui rappellent un peu l’intérêt, même si c’est de l’intérêt sans intérêt ?
Vous venez de le dire, ici on parle de marge bénéficiaire, contrairement à la finance conventionnelle qui impose tout de suite des taux d’intérêt exorbitants. À partir de ce moment, le Sukuk est une réponse à l’emprunt obligataire pour permettre aux gouvernements de pouvoir lever les fonds. Voyez le cas de l’Afrique du Sud, pays non musulman, le premier en Afrique à émettre un Sukuk. Ce n’est plus une histoire de religion, mais plutôt une question d’opportunité. La finance islamique présente des opportunités pour permettre aux pays africains en voie de développement de favoriser l’inclusion financière. Dans le secteur des assurances, le Takaful permettrait de toucher les marchés les plus hostiles.
Concrètement, qu’est-ce que livre 9 inclue en matière d’avantage, de réglementation et de contrainte ?
En matière d’avantage, cela nous permet d’avoir un cadre juridique légal pour pouvoir opérer. Ce que d’ailleurs nous avons applaudi des deux mains. Tout comme l’avènement du code SIMON-92, c’est une réglementation qui, certainement, va être peaufinée pour nous autres spécialistes. Il y a des choses qu’il faudra mettre en avant en termes juridiques, fiscales et en parler avec les commissions scientifiques. Il y a des choses à dire: le cas de l’article 9 sur le capital social de 3 milliards de FCFA pour constituer une compagnie Takaful. Nous autres, pensons que ce montant est élevé. Maintenant ils disent qu’ils vont aller vers la micro-Takaful, et là je pense que le capital minimum sera fixé aux alentours de 500 millions de Franc CFA. Nous attendons un projet de réglementation d’ici juin 2020.
Pour finir, quelle est la différence entre une police d’assurance conventionnelle et une police d’assurance Takaful ? Quel avantage pour l’assuré ?
Avec la police d’assurance conventionnelle, il y a un transfert de risque. La compagnie d’assurance est détenue par des actionnaires qui vont prendre le dividende. Par contre avec l’assurance Takaful, il y a un partage de risque, les actionnaires ce sont les cotisants eux-mêmes. On paye la même prime dans l’assurance conventionnelle, avec ou sans sinistre. Ce n’est pas normal. L’assurance Takaful s’ajuste en fonction de la survenue ou non d’un sinistre et rembourse toujours quelque chose à l’assuré. L’assurance islamique est basée sur les principes de l’interdiction du taux d’intérêt, du placement dans les jeux du hasard et du commerce de l’alcool.
Source: F. A