La Grosse artillerie sortie par l’Etat du Sénégal pour financer son Programme de résilience économique et social contre la pandémie du nouveau Coronavirus (Covid -19) risque de se transformer très vite en pétard mouillé si des correctifs ne sont pas apportés aux mesures de soutien aux entreprises.
Le modèle sénégalais de riposte contre la pandémie du Covid-19 a l’avantage de mobiliser plus rapidement que celui de beaucoup d’autres pays, des ressources financières conséquentes mais traîne cependant des tares congénitales dans sa gouvernance et le ciblage de ses interventions. Le ver est dans le fruit comme on dit. Et il n’est pas encore tard pour apporter des correctifs.
Au niveau de la gouvernance des 1000 milliards de FCFA mobilisés dans le cadre du Fonds de solidarité national dénommé FORCE COVID – 19, on est passé de comité de pilotage de FORCE- COVID-19 à un comité de suivi. Le Décret N°2020 – 965 du 17 Avril 2020 portant création et fixant les règles de fonctionnement et d’organisation du Comité de suivi de la mise en œuvre des opérations de FORCE COVID – 19 a assigné au dit comité, la mission de « suivre de façon inclusive et proactive l’ensemble des opérations menées par le Fonds et d’en rendre compte au Président de la République ». Rien à voir avec le comité de pilotage dont parlait le Président de la République dans son discours à la nation prononcé le 03 avril à la veille de la fête de l’indépendance qui disait, je le cite : « Afin d’assurer les meilleures conditions d’inclusion et de transparence, le FORCE- COVID-19 sera supervisé par un Comité de pilotage qui comprendra des représentants de l’Etat, de l’Assemblée nationale, toutes sensibilités confondues, et de la société civile. », omettant au passage d’ailleurs les représentants du secteur privé qui constitue une ligne de défense essentielle dans le combat contre le Covid-19 et qui doit tenir debout et survivre à la crise. Chez les anglais qui ont un sens aigu de la clarté, un comité de pilotage appelé « the steering commitee » a un pouvoir réel de conseil, d’orientation et de décision, responsable de la réussite et de l’échec du programme ou projet en question. Plus il est inclusif et comprend des personnes de différents secteurs, mieux on peut s’assurer que toutes les voix pertinentes sont entendues, représentant l’ensemble des parties prenantes. On est très loin de cette prérogative quand on regarde bien la composition du comité de suivi.
Pour un Fonds censé apporter des réponses aux préoccupations des acteurs économiques impactés, l’absence de Ministères sectoriels pose problème à mon humble avis : le Ministère du commerce et des PME, le Ministère de l’industrie et des PMI qui doit relancer l’industrie pharmaceutique, le Ministère de l’agriculture, le Ministère de l’élevage, le ministère du tourisme, le ministère de la communication, le ministère de l’éducation, le ministère de la formation professionnelle, le ministère de la femme en charge de l’entreprenariat féminin entre autres.
La faible représentation du Ministère de la santé me parait totalement incompréhensible. Tout comme l’absence de celui en charge des PME et du commerce, et celui en charge de l’’industrie. Il en est de même de celui de l’Agriculture en cette période où les Etats exportateurs de denrées alimentaires comme le riz sont en train de suspendre leurs exportations pour assurer à leurs populations une souveraineté alimentaire et à quelques encablures du démarrage de la campagne agricole. On peut en dire autant du ministère de l’économie numérique quand on voit l’importance du télétravail en ces moments de restrictions des déplacements.
Tous ces départements ministériels clés ont été zappés dans la composition du comité. La suppression de la primature ne va guère faciliter la coordination des interventions.
Les organisations professionnelles et faitières installées dans les différentes chaines de valeur qui tiennent les rennes de l’économie locale sont absentes du comité. Les Représentants des chambres de commerce et des chambres de métiers sont également absents.
Pour ce qui est de la représentation du secteur privé dans le Comité de suivi, le Président de l’Association Professionnelle des Banques et Etablissements financiers (APBEF) ne peut pas à lui seul représenter tout le secteur financier d’autant plus que l’Association professionnelle des SFD (APSFD) a été zappée. Le Président du MEDES ne peut pas défendre les intérêts de prés de 408 000 unités économiques recensées par l’ANSD dans le comité alors que le MEDES ne regroupe à peine une centaine d’entreprises.
Qui pour représenter les entrepreneurs installées dans les chaines de valeur agricole et agroalimentaire, de l’hôtellerie, du transport, de l’enseignement supérieur privé et de la formation professionnelle, du secteur de la pèche, de l’élevage et j’en passe ? Qui pour représenter l’entreprenariat féminin et l’entreprenariat jeune ?
Vers un taux de mortalité inédit des TPE, MPME, et Start UP.
Pour ce qui a trait aux mesures de soutien aux entreprises proprement dites, force est de constater qu’il se pose un sérieux problème de ciblage des entreprises et secteurs d’activités à soutenir. Ces mesures sont en total décalage avec la structuration du tissu économique sénégalais.
En effet, les chiffrent parlent d’eux-mêmes : 97% des PME sénégalaises sont dans l’informel (ANSD) et parmi celles-ci, l’écrasante majorité sont des TPE, des micros entreprises et des Petites Entreprises individuelles ou entreprenants. À noter que 99,2 % de l’ensemble des entreprises recensées au Sénégal en Janvier 2017 par l’ANSD sont des PME. Autrement dit, l’essentiel du tissu économique risque de ne pas bénéficier des mesures de soutien aux entreprises ; tout le contraire des autres pays comme le Maroc, la Côte d’ivoire et même le Burkina qui a prévu un fonds dédié à son secteur informel. Même la France dont le modèle de soutien aux entreprises a sans doute inspiré celui du Sénégal, a prévu 1500 Euros de soutien par mois à ses entrepreneurs indépendants accessibles via le remplissage d’un simple formulaire de demande de soutien en ligne !
Quand on analyse bien les entreprises qui peuvent réellement bénéficier des mesures de soutien prévues par l’Etat sénégalais, on se rend compte que 3,8 % seulement de l’ensemble des entreprises du tissu économique peuvent bénéficier de ces mesures, c’est-à-dire, les entreprises formelles composées ainsi : 0,8% que constituent les grandes entreprises, et les 3% que représentent les PME formelles.
Si l’Etat ne revoit pas sa stratégie de ciblage, le taux de mortalité des TPE, Micro entreprises, Start Up et petites entreprises individuelles qui se situe déjà à plus de 60% pour les nouvelles créations d’entreprises, dans les 3 premières années suivant leur année de création, connaitrait un taux jamais connu jusqu’ici. Beaucoup ont déjà mis la clé sous le paillasson et il n’est pas encore tard pour arrêter l’hémorragie. Ce qui est en jeu, c’est la perte de prés de 90% du total du personnel en activité au niveau national.
Pétard mouillé si le FORCE COVID-19 laisse le secteur informel en rade
Les mesures financières d’injonction de liquidités et les mesures de facilités fiscales aux entreprises n’auront servi à rien ; ni pour préserver les emplois encore moins pour soutenir les investissements nécessaires à la préparation de la relance économique ; sauf à sauvegarder les emplois formels si l’Etat ne change pas de fusil d’épaule. Et bonjour la spirale de l’endettement public si jamais il faut renouveler les 1000 MDS de FCFA dans l’hypothèse d’une crise sanitaire et économique qui s’installe au delà de 6 mois. Aussi, on reviendra à la case départ car ce trésor de guerre sera comme une goute d’eau dans la mer alors que le combat ne ferra que commencer.
Tout porte à croire que l’Etat veut d’abord sauver les grands contribuables ; les entreprises qui alimentent le plus les recettes fiscales. On a choisi délibérément de sauver les grandes entreprises étrangères, les entreprises publiques, les entreprises de tailles intermédiaires, c’est à dire les grosses PME, les petites entreprises présentes dans le portefeuille d’encadrement de l’Etat et quelques grands commerçants qui traitent avec l’Etat et avec les banques. Et on a dit à tous les autres acteurs économiques qui sont dans l’économie informelle « débrouillez vous ». « La DGID et le trésor public ne vous connaissent pas même si certains d’entre vous paient la fiscalité de porte et s’acquittent de la taxe municipale ! Tout au plus, vous pouvez être traités comme des ménages pauvres qui peuvent bénéficier de vivres si on parvient à vous identifier au même titre que les bénéficiaires de la bourse familiale. Que vous soyez petits commerçants, auto entrepreneurs, gérants de micro entreprises individuelles, de Start Up, transformatrice de produits locaux, restauratrices de rue, agriculteurs, pécheurs, éleveurs, artisans, mécaniciens, gérantes de salon de coiffure ou de couture, etc. »
Plusieurs études de la FAO et de la Banque mondiale ont montré que le secteur informel représente pour beaucoup de personnes dans le monde et particulièrement en Afrique, un moyen de subsistance, une source d’emploi et de revenus et un refuge pour des millions de femmes et de jeunes dans les grandes agglomérations urbaines et dans les zones rurales. La preuve par le jeune commerçant qui a quitté clandestinement Touba pour se rendre à Tivaouane malgré l’interdiction du transport interurbain.
Dans le Plan Sénégal Emergeant (PSE), l’économie informelle est considérée comme un moteur important de diversification des sources de la croissance et d’inclusion sociale qui doit permettre d’atteindre les objectifs de transformation structurelle de l’économie visés par l’axe un ( 1) de ce Plan. Le secteur informel ou l’économie informelle apparait dans ce programme de développement économique et social comme un moyen pour l’État de réaliser une croissance inclusive à large base sociale dont les Micros, petites, et moyennes entreprises seront les principaux artisans. Le fait que la seule activité économique qui marche aujourd’hui soit la confection de masques par les petits ateliers de couture qu’on veut abandonner à eux-mêmes, ajoutées à cela les nombreuses innovations techniques et technologiques portées par des entrepreneurs locaux et Start UP pour apporter des solutions locales aux besoins de l’heure ( réalisation d’appareils pour se laver les mains, réalisation de modèles nouveaux de respirateurs etc), doivent amener le gouvernement du Sénégal à reconsidérer sa stratégie de soutien aux entreprises et éviter ainsi que le FORCE COVID-19 ne se transforme en pétard mouillé en fin de compte.
Rien n’empêche à ce state, de mettre en place un sous fonds dédié au secteur informel avec un mécanisme d’accès facilité comme l’a fait le Burkina-Faso. Le problème d’identification des acteurs peut trouver solution soit à travers leurs organisation professionnelles, soit en mettant en application la Loi sur le statut de l’entreprenant déjà passée à l’assemblée nationale. Quand au canal de transmission de l’appui financier, le niveau actuel d’utilisation des technologies de l’information par les entrepreneurs sénégalais permet de faire des transferts directs de cash pour pallier la perte de chiffre d’affaire et soutenir leur trésorerie une fois les bénéficiaires identifiés. Eventuellement, les Systèmes Financiers Décentralisés (SFD) qui ont une plus grande proximité psychologique et géographique avec les acteurs économiques du secteur informel, pourraient être mis à contribution dans l’octroi de petits prêts.
(Par Bacary SEYDI, Fondateur de la Plateforme PME AFRICAINES)