Après avoir décrété l’état d’urgence assorti d’un couvre-feu sur l’ensemble du territoire national, le 23 mars 2020, le chef de l’Etat, Macky Sall, a pris, avant-hier, la décision d’assouplir ces mesures restrictives. Ces deux mois d’arrêt ont porté un sacré coup à l’activité économique. Industrie hôtelière à genoux, entreprises fermées ou au ralenti, travailleurs contraints au congé, chômage technique forcé… Des perturbations qui n’ont pas manqué d’installer l’inquiétude chez une bonne partie des ménages sénégalais. Certains segments de l’Etat ont été également durement touchés, notamment les régies financières. Entre remise partielle de dettes fiscales, report d’échéances de toutes les obligations de déclaration et de paiement, suspension de recouvrement, l’administration fiscale a traversé l’un des pires moments de son existence. L’administration douanière, l’une des mamelles de notre économie, évoquai, de son côté, la chute des importations provenant de la Chine de l’ordre de 22%. Il en est de même pour le secteur informel qui a subi les affres de la pandémie du Covid-19 avec une baisse drastique des activités visibles sur la capitale et le reste du pays.
Ces contrecoups n’ont manqué de secouer les fondements de l’économie avec une revue à la baisse des prévisions de croissances économique de 6% à moins de 3%. En dépit de toutes ces mesures restrictives, qui ont freiné l’économie, la pandémie continue à gagner du terrain au Sénégal. A la date d’hier, notre pays comptait 1995 cas positifs, dont 742 guéris et 19 décédés, et donc 1233 sous traitement. Toutefois, « malgré le rythme de progression de la maladie, notre système de santé s’est montré résilient face à une pathologie pourtant inédite et particulièrement contagieuse », s’est réjoui le chef de l’Etat, lors de son adresse à la Nation. Fallait-il continuer à faire appliquer ces mesures restrictives face à un virus en forte progression et une situation économique et financière mise à rude épreuve ? L’Etat semble être tenaillé entre l’urgence de protéger la population et l’impérieuse nécessité de relancer la machine économique grippée le temps d’une pandémie. L’Etat était tout simplement face à un dilemme cornélien. Non sans compter l’émergence d’un autre front, religieux celui-là, plaidant la réouverture des mosquées qui n’avaient pas également échappé à la rigueur des restrictions. En tout état de cause, la décision prise, lundi, par le chef de l’Etat d’adoucir les mesures sonne comme une tentative de sauver l’économie nationale d’un effondrement.
Les arguments économiques ont vraisemblablement pesé tout de leur poids sur la balance au regard des secteurs mentionnés dans l’adresse du chef de l’Etat et qui sont visés par cet assouplissement : adaptation de la stratégie nationale de lutte contre le Covid-19, de façon à mener les activités essentielles et faire vivre l’économie ; la reprise de l’ouverture régulière (sur 6 jours) des marchés et autres commerce ; la réouverture, dans les limites de chaque département, des marchés hebdomadaires. Le monde agricole, maillon névralgique du tissu économique, n’a pas été en reste avec des mesures particulières qui lui sont appliquées relatives à la facilitation du déplacement des travailleurs de ce secteur. Oui, il faut l’avouer, ces mesures ne trouveront pas l’assentiment de beaucoup de professionnels de la santé, notamment ceux-là qui sont au premier plan de la lutte et qui n’ont jamais cessé d’attirer l’attention des autorités et des populations sur la nécessité d’éviter les rassemblements.
Évidemment, les agents économiques, particulièrement les ménages doivent d’abord être bien portant pour jouer leur partition dans l’animation de l’activité économique. On n’en disconvient pas, la bonne santé constitue un facteur déterminant pour une performance durable ; elle contribue dans une large mesure à la compétitivité d’une entreprise. Autant l’éradication de la propagation de la pandémie était une préoccupation pressante pour l’Etat, autant il devait parallèlement assurer une continuité des activités du commerce et jeter les jalons d’une relance de l’économie nationale mal en point. Le tissu économique étant tiré essentiellement par le secteur informel. Ce n’était guère facile pour l’Etat de faire ce basculement eu égard à la complexité de la situation qui prend en compte plusieurs dimensions : sanitaire, sociologiques, économiques, cultuelles et culturelle. Il fallait faire preuve d’autorité et de responsabilité pour trancher.
Il reste maintenant à faire confiance à notre Etat en présumant qu’il a pris la bonne décision, celle basée sur les avis de nos experts réunis autour d’une équipe pluridisciplinaire. Une chose est certaine, la politique interventionniste enclenchée par l’Etat à travers le Programme de résilience économique et sociale (Pres) ne peut qu’être conjoncturelle. Serait-il en mesure de continuer à assurer l’assistance alimentaire à un million de ménages ? Les caisses de l’Etat permettront-elles, dans la durée, de maintenir la perfusion financière aux entreprises nationales ? Sans verser dans le suivisme mondial, chaque pays doit adopter des stratégies de lutte qui prennent en compte des réalités socioéconomiques de son peuple. Jamais, nous ne pourrons avoir une réponse qui ferait l’unanimité d’autant que nous sommes dans un pays où chacun s’érige en expert.
Adaptons-nous en toute responsabilité ! L’économie d’accord, mais la santé d’abord !
Par Abdou DIAW