Au Sénégal, le taux de chômage des jeunes reste un sujet à polémique. Gare à celui qui tenterait d’avancer un chiffre. Des officiels ont abreuvé les populations de chiffres, les uns plus contradictoires que les autres. Le citoyen lambda se perd même dans cette myriade de données. Même la presse, censée jouer un rôle d’éclaireur, ne sait guère à quelle source se fier. Cacophonie ! Les récents chiffres sur l’emploi au Sénégal prêtés à l’Organisation internationale du travail (Oit) ont cristallisé toutes les attentions. Le taux qu’elle aurait avancé a sorti des ministres et autres officiels de leur réserve, en dépit du démenti apporté par Dramane Haïdara, directeur du bureau de l’Oit à Dakar, dans l’émission Jury du dimanche, le 15 novembre sur iradio. Le Sénégal serait classé 3ème sur les dix pays les plus touchés par le chômage avec un taux de 48%. Alors que la note trimestrielle de l’Enquête nationale sur l’emploi au Sénégal (Enes) de l’Ansd évaluait à 15,7% le taux de chômage des personnes âgées de 15 ans ou plus. Doit-on avoir peur de discuter objectivement des chiffres de l’emploi de notre pays ? Est-ce un délit pour quelqu’un d’autre, outre les services nationaux de la statistique, de révéler des chiffres de l’emploi ?
L’emploi, voilà un secteur tant redouté par les pouvoirs publics, presque partout dans le monde. Il est capable de faire trembler le plus haut sommet d’un État. Pour tout gouvernement, c’est l’équation à mille inconnues. Au Sénégal, ce débat autour des chiffres de l’emploi est agité dans un contexte où le pays pleure ses filles et fils perdus dans les eaux profondes de l’Océan Atlantique. Manque d’emploi ou la quête d’un mieux-être ? Acculé de part et d’autre, l’État sort de son long silence. Une attitude décriée par bon nombre de citoyens qui, pour rendre hommage aux disparus de l’émigration clandestine, décrètent une journée deuil numérique. Le président de la République prend les choses en mains et annonce une kyrielle de mesures en faveur de l’emploi lors de la réunion du Conseil des ministres du 18 novembre. Même si le communiqué qui a sanctionné cette rencontre hebdomadaire n’a pas fait mention de l’émigration clandestine, en toute vraisemblance, ce sont des initiatives qui devraient contribuer à endiguer le fléau. Parmi ces mesures, le Chef de l’État annonce la création d’un Conseil national pour l’insertion et l’emploi des jeunes (Cniej). Ce Conseil se veut un organe consultatif « stratégique d’impulsion », qui devrait être mis en place dans la deuxième quinzaine de décembre 2020.
Certains estiment qu’il s’agit-là d’une entité « de plus » au regard de la politique de rationalisation imprimée par Macky Salla dès son arrivée au pouvoir en 2012. Qu’il s’agisse du Fonds national de promotion de la jeunesse (Fnpj), de l’Agence pour l’emploi des jeunes des banlieues (Ajeb), de l’Agence nationale pour l’emploi des jeunes (Anej) ou de l’Agence nationale d’appui aux marchands ambulants (Anama), des structures créées sous le président Wade, son successeur avait réussi à les fusionner pour les regrouper en une seule entité. À ce titre, il a été créé, en janvier 2014, l’Agence nationale pour la promotion de l’emploi des jeunes (Anpej). En adoptant cette démarche, l’État s’était fixé pour objectif de mieux rationaliser les ressources et d’être plus efficace dans la mise en œuvre de sa politique de l’emploi. La création de l’Anpej traduit une volonté du Chef de l’État de rationaliser les structures qui évoluaient dans la gouvernance de l’emploi des jeunes et d’optimiser les moyens d’intervention sur le terrain.
La création d’un Conseil national pour l’insertion et l’emploi des jeunes (Cniej) traduit-elle l’échec de l’Anpej ? Cette dernière n’est-elle pas dotée assez de ressources humaines pour jouer le rôle d’organe consultatif « stratégique d’impulsion » ? Quid de la Délégation à l’entreprenariat rapide (Der) ? Sur toutes ces questions, le président de le République ne manquera peut-être pas d’apporter des réponses lors du lancement prévu courant décembre. Mais pour certains observateurs, avec ce Cniej, l’État semble remettre en cause sa politique de rationalisation et signe le retour des acteurs institutionnels en charge du service public de l’emploi des jeunes. À notre humble avis, l’État gagnerait surtout à renforcer l’existant, mais aussi en dotant l’Anpej de plus de ressources financières et humaines afin de lui permettre de mener convenablement sa mission.
Par Abdou DIAW, Journaliste économique