Le Sommet des Chefs d’Etats de l’Union Africaine (UA) sur l’industrialisation et la diversification économique sera organisé du 20 au 25 novembre prochain sous le thème : « Industrialiser l’Afrique : Renouveler les engagements en faveur d’une industrialisation et d’une diversification économique inclusives et durables ».
Dans le cadre de la préparation de celui-ci et dans l’optique de contribuer bénévolement à la réussite de cet évènement, j’ai décidé de rédiger la présente contribution destinée à alimenter le débat.
Trois unités industrielles qui prennent feu et disparaissent en l’espace de 8 ans dans le seul département de Diourbel (150 km au centre de Dakar), presque toutes les industries textiles à l’arrêt en Afrique Subsaharienne et de nombreux fleurons industriels jadis prospères, devenus en difficulté, voici rapidement résumés quelques symboles du phénomène de désindustrialisation en Afrique.
Rappel de la problématique
L’Afrique est le continent le plus riche en ressources naturelles au monde avec un impressionnant volume de terres arables disponibles (65 % du potentiel de terres arables non cultivées dans le monde en 2021 selon la BAD), plus du quart de la forêt mondiale (Banque mondiale, 2013). S’y ajoute une grosse réserve de produits halieutiques. Selon la FAO, le secteur de la pêche a généré en 2011 une valeur ajoutée de plus de 24 milliards $ soit 1,26% du produit intérieur brut (PIB) de l’ensemble des pays africains.
Le Continent dispose aussi d’importantes réserves en énergies : une des régions les plus ensoleillées du monde et plus de 5 400 milliards de m3 par an de ressources en eau disponibles.
Sans tenir compte des matières premières en abondance et un sous-sol très riche. L’Afrique possède à elle seule plus de 60 types de minerais différents, totalisant ainsi un tiers des réserves minérales mondiales, tous, minerais confondus.
Et pourtant, elle transforme très peu ses matières premières sur place (environ 1,6% du potentiel industriel mondial), exporte quasiment ses produits en l’état brut et sans valeur ajoutée (plus de 71% des exportations).
Ses pays continuent d’importer hors d’Afrique des biens et équipements qu’ils sont capables pourtant de produire sur place ; ils commercent faiblement entre eux puisque, les exportations intra-africaines ne représentent que 16,6 % des exportations totales contre 40% en Amérique du Nord et 60% en Europe de l’Ouest.
Les pays africains négocient mal par ailleurs leurs contrats notamment dans le domaine des mines et de la pêche.
Evidemment avec d’aussi grosses contre-performances, le Continent participe faiblement au commerce mondial (3%) présente des balances commerciales structurellement déficitaires et n’arrive pas à faire reculer de manière drastique la pauvreté et le chômage dans un contexte où plus de 10 millions de jeunes selon L’UNESCO arrivent chaque année sur le marché de l’emploi.
Pourtant L’Afrique dispose d’atouts certains
Ø un marché potentiel de 1,2 milliard de consommateurs
Ø une vitalité démographique avec 16% de la population mondiale qui devrait atteindre 25% en 2050, dans un contexte d’urbanisation galopante avec 56% de citadins attendus d’ici 2050
Ø Une qualité de ressources humaines qui s’affirme d’année en année. Les jeunes de moins de 25 ans représentent de nos jours 62% de sa population, contre 44% dans l’ensemble des pays en développement et 27% dans les pays développés.
Ø une classe moyenne en extension. Selon la start-up Fraym, 330 millions d’Africains, soit le quart de la population du continent, font partie de la « classe moyenne »
Ø Le dernier Rapport Afrique Wealth révèle qu’il y a maintenant un peu plus de 160 000 millionnaires en Afrique
A ces facteurs favorables s’ajoutent de grosses opportunités commerciales comme l’ African Growth Opportunities Act (AGOA), Loi sur la Croissance et les Opportunités de Développement en Afrique, qui permet aux pays de l’Afrique Subsaharienne d’exporter sur le marché américain sans droit de douanes. Au total, l’accord autorise 6300 produits africains à accéder au marché américain,
Il y a aussi l’initiative de l’Union européenne Tout sauf les armes qui vise à supprimer les barrières douanières de l’Union européenne vis-à-vis des biens produits dans les Pays les moins avancés, soit 48 pays.
Les Contraintes à l’industrialisation en Afrique
Elles sont nombreuses et peuvent se résumer comme suit :
Un environnement des affaires peu propice
Dans une enquête menée par une sommité de l’Université de Montréal, auprès d’un panel d’entreprises ayant investi en Afrique, il est ressorti que les contraintes majeures identifiées sont l’accès au financement (23,91%), le manque de qualification du personnel (14,67%) et la concurrence du secteur informel (11,23%).
La criminalité (0,66%), le système judiciaire (1,65%) et les formalités de création d’entreprise (1,67%) ont été identifiés par les entrepreneurs comme étant les facteurs les moins contraignants.
Sans oublier les impacts négatifs de la corruption, la lourdeur des procédures administratives mais aussi les insuffisances liées à l’accès à l’électricité et au foncier et l’état des infrastructures.
Concernant la qualité de la main d’œuvre, selon la Banque mondiale « faute d’avoir suffisamment de travailleurs qualifiés dans le secteur extractif, le pétrole et les minerais extraits sur le continent sont expédiés ailleurs pour être transformés, ce qui pénalise les industries africaines et, par ricochet, le marché de l’emploi ». Le ratio de scientifiques et de chercheurs au sein de la population du continent est de 79 pour un million d’habitants comparé à la moyenne mondiale de 1081 pour un million, selon le même organisme.
Au sujet de l’accès à l’électricité, en Afrique subsaharienne, le coût de l’obtention d’un raccordement électrique permanent au réseau est trois fois plus élevé que la moyenne mondiale et 52 fois plus élevé que dans les pays à revenu élevé de l’OCDE.
« Environ 80 % des entreprises d’Afrique subsaharienne subissent des coupures fréquentes, entraînant des pertes économiques substantielles », selon l’Agence internationale de l’énergie
Sur la question des procédures administratives, à titre d’exemple en Côte d’Ivoire et au Cameroun, il faut plus de 200 heures pour remplir les formalités douanières d’exportation pour le transport maritime, contre 13 heures dans les économies à revenu élevé de l’OCDE.
Le coût de ces démarches dans les ports du Gabon s’élève en moyenne à plus de 1 600 dollars, contre seulement un peu plus de 300 dollars à Maurice.
Les ports d’Afrique subsaharienne sont les moins efficaces de toutes les régions.
Au sujet de la question du financement, selon une étude réalisée par Investisseurs & Partenaires, près de 40 % des PME africaines évoquent l’accès au financement comme une « contrainte majeure à leur croissance ».
Sur le gap infrastructurel, d’après des estimations de la Banque Africaine de Développement (BAD), 130 à 170 milliards de dollars seraient nécessaires au développement infrastructurel du continent, avec un besoin de financement de l’ordre de 67,6 à 107,5 milliards de dollars.
Bien entendu tous ces facteurs sont exacerbés par un environnement socio politique de moins en moins stable marqué par des crises sécuritaires à répétition.
Des carences inquiétantes en gestion restées souvent impunies
Ce facteur figure en bonne place dans l’explication des échecs notés dans les processus d’industrialisation en Afrique notamment dans les entreprises parapubliques. Cette situation s’explique fondamentalement par des nominations d’ordre politique, un clientélisme dans les recrutements et l’impunité des mis en cause
Des exigences d’ordre environnemental handicapant
De plus en plus de théories environnementales demandent à l’Afrique contre toute attente de se passer de ses ressources fossiles (pétrole en gaz), qui sont pourtant des intrants importants dans son processus d’industrialisation.
Présence de lobbies nocifs et mauvaises politiques économiques
C’est de mon point de vue le point handicapant par excellence des processus d’industrialisation en Afrique. Les Etats préfèrent la solution simpliste consistant à prélever des droits de douanes et taxes diverses puis alimenter les budgets nationaux. En quelque sorte, une situation de rente qui va à l’encontre de la production locale et de l’emploi.
Ensuite, les progrès en matière d’industrialisation sont faibles en raison de la présence de nombreux lobbies nocifs qui mettent en avant leurs propres intérêts. Tant que ces derniers et leurs relais locaux, incrustés dans les sphères de décision et voraces de gains et de commissions générés par les importations, ne seront pas mis hors d’état de nuire, l’Afrique évidemment n’avancera pas. C’est ma ferme conviction !
Contraintes monétaires spécifiques
Elles sont essentiellement perceptibles à travers une monnaie comme le FCFA dont la parité fixe par rapport à un euro fort est de nature à handicaper les exportations notamment celles des produits transformés. Ce paramètre explique sans doute, en partie, la persistance des phénomènes de désindustrialisation dans les pays francophones membres de la zone Franc et la recrudescence des entreprises en difficulté qui ne cessent de fragiliser le secteur privé formel.
Sur un autre plan, l’intégration entre les trois zones du franc CFA (Afrique de l’Ouest, Afrique centrale et Comores) sera difficile à atteindre du fait que la monnaie en cours dans chacune des zones ne peut être dépensée dans les autres. En effet, les économistes savent depuis les travaux de Robert Mundell des années 1950 que pour que des pays aient intérêt à avoir une même monnaie ils doivent être intégrés économiquement.
Quelle stratégie d’industrialisation faut-il pour l’Afrique ?
Un processus cohérent d’industrialisation de l’Afrique passe par la mise en place d’industries de substitution aux importations et d’unités de transformation de matières premières locales.
Les industries de substitution aux importations (ISI)
L’Afrique est un gros marché satisfait essentiellement par les importations. Une première étape dans la stratégie d’industrialisation pourrait consister en l’érection d’industrie de substitution aux importations notamment en ce qui concerne des produits dont les matières premières existent déjà ; ces ISI pourraient viser dans un premier temps des marchés régionaux comme la CEDEAO.
A côté de ces stratégies de maîtrise des importations, il est souhaitable que le continent mette en place des industries de transformation de matières premières locales. Ces stratégies pourraient dans une première étape concerner des unités légères, peu coûteuses capables de faire la première transformation avec comme output des sous-produits mais aussi la valorisation de produits agricoles tropicaux spécifiques à l’Afrique comme l’hibiscus, le pain de singe, le moringa qui ont par ailleurs des effets positifs certains sur la santé.
Compte tenu des difficultés d’accès à certains marchés européens notamment occidentaux, avec la présence de nombreuses barrières à l’entrée, ces stratégies d’industrialisation pourraient d’abord avoir comme cible commerciale les pays membres de la même zone économique.
Les conditions requises pour une bonne politique d’industrialisation
En plus des efforts attendus visant l’amélioration du climat des affaires, il conviendra de mettre l’accent sur les aspects ci-dessous
Renforcer le processus d’intégration économique
Cela devrait se faire par cercle concentrique au niveau de chacune des 5 grandes zones économiques (Union du Maghreb arabe, CEDEAO, CEEAC, COMESA, SADC) en attendant les perspectives optimales d’intégration à l’échelle africaine avec la Zone économique de libre échange continentale (ZLECAF)
Des actions fortes de renforcement de l’intégration au niveau de chaque région devraient être envisagées comme une réduction conséquente de droits de douanes intra zone, la libre circulation des biens et des personnes, la mise en œuvre de politiques communautaires d’aménagement du pays. Il faut de véritables politiques industrielles régionales. A titre d’exemple, le Sénégal pourrait se spécialiser dans la production d’huile d’arachide, la Côte d’Ivoire dans celle de masse de cacao, le Bénin dans l’huile de palme de palme etc…
Les Etats devraient travailler à renforcer leur interconnexion électrique. Cela pourrait passer par une mutualisation plus grande de leur capacité de production de de transport et de de distribution de l’énergie afin que les excédents puissent être drainés vers les zones à faible potentiel.
Aussi, tôt ou tard, la Cedeao et l’Union africaine devraient évaluer la question du degré d’implication des pays francophones dans l’atteinte des objectifs de la communauté ouest africaine et continentale. Ces derniers semblent parfois nager à contre-courant des intérêts supérieurs de l’intégration sous régionale.
Il y a lieu de rappeler que le processus conduisant à la monnaie unique a été mis en difficulté suite à la décision inattendue des pays de l’UEMOA d’annoncer le changement du nom du F CFA en Éco.
Renforcer les capacités de gestion des unités industrielles
Cela pourrait passer par des processus de recrutement par appel à candidature en ce qui concerne les dirigeants de sociétés publiques et parapubliques, des contrôles de gestions réguliers et la fin de de l’impunité. Sur ce dernier point, une réforme de la fonction présidentielle dans les États est fortement recommandée afin de diluer ses pouvoirs.
Il conviendrait aussi d’encourager la surveillance mutuelle en permettant la libre circulation des compétences comme le Bénin l’a fait avec la nomination au niveau de sa Direction Générale des douanes d’un Haut cadre Sénégalais comme Directeur Général Adjoint
Une autre action à envisager consiste à recourir systématiquement au partenariat technique pour renforcer les compétences en matière de gestion industrielle.
Déployer des actions de promotion industrielle
Tenir une banque de données des opportunités commerciales à l’échelle de chaque région et des foires à l’occasion de la journée de l’industrialisation de l’Afrique célébrée chaque 20 du mois de novembre.
Il faudra mettre en œuvre des politiques de ciblage et d’accompagnement des champions industriels continentaux reconnus comme DANGOTE en leur faisant jouer un rôle important dans le coaching des entrepreneurs.
Protéger l’industrie naissante
Cette action pourrait se faire par des politiques de contingentement réfléchies ainsi qu’avec un minimum de protection douanière en dépit des règles de l’OMC. Tous les « grands pays » se protègent par les barrières tarifaires et non tarifaires (normes et crédits à l’exportation).
Renforcer le dispositif de financement en faveur de l’industrie
A cet effet, il s’agira de créer un fonds de prise de participation industriel et de bonification à l’échelle de l’union Africaine. Les banques de développement africaines devraient aussi élaborer en leur sein des chartes de l’industrialisation avec des stratégies claires en la matière pourquoi pas créer des départements dédiés aux projets industriels avec de lignes de financement à long terme dédiés
Les Etats devraient à leur tour accompagner les projets industriels par des prises de participation en portage dans les unités à créer.
Promouvoir le transfert de technologie.
Il s’agira de réformer les législations existantes afin, dans le cadre de la définition des contenus locaux, de renforcer la transmission de savoir-faire. Dans cette perspective, l’Afrique pourrait négocier avec des pays émergents comme la Chine la possibilité de réaliser des joint-ventures en particulier sur la production locale de biens importés.
Diversifier les économies afin de mieux soutenir l’industrie
Aujourd’hui force est de constater que l’économie de nombreux pays du Continent reste tributaire de l’exploitation du pétrole, du gaz et des mines ; les investissements directs étrangers vont principalement vers ces secteurs. L’Afrique doit donner plus de valeur ajoutée à son économie afin notamment d’être moins vulnérable face aux chocs exogènes. Cela passe par la mise en application des découvertes des inventeurs du Continent, la diversification économique vers des secteurs à forte valeur ajoutée mais aussi par un soutien à la recherche tant appliquée que fondamentale.
Les alternatives à l’industrialisation
Tant que ces prérequis n’auront pas été résolus la sempiternelle problématique demeurera à savoir que faire entre exporter en l’état pour que le plus grand nombre d’agriculteurs profite du fruit de leur travail ou transformer quel que cela puisse coûter. Cette dernière hypothèse a évidemment l’inconvénient de permettre à une classe limitée d’hommes politiques et autres affairistes de vivre sur « le dos des paysans ».
La question de l’industrialisation de l’Afrique relève de la volonté politique et interpelle les décideurs du continent.
Magaye GAYE
Economiste international