M. Aliou Dia, Président des Forces Paysannes, membre du Haut Conseil des collectivités territoriales, dans une interview accordée à Lii Quotidien, est largement revenu sur la situation agricole du Sénégal. Il estime que la production arachidière en 2023 est estimée à plus 1 million 700 000 tonnes. Il souligne que sur les 70 milliards promis par l’Etat pour appuyer les producteurs, 15 milliards ont été débloqués et 15 autres milliards sont sur le point d’être débloqués. Il demande à l’Etat d’accompagner davantage le remboursement des dettes contractées par les paysans et par les opérateurs. Selon M. Dia, la campagne de commercialisation de l’arachide est pour le moment est timide. Pour booster le secteur agricole, le Président de Forces Paysannes estime qu’il faut régler le problème du financement.

Lii Quotidien : Aujourd’hui, quelle est la situation du secteur agricole au Sénégal ?

Aliou Dia : Présentement, on est en pleine campagne de commercialisation. Cela prouve que, il en a déjà la matière. S’il n’avait pas de production, on ne parlerait pas de campagne de commercialisation agricole. La campagne agricole avait été bien préparée.

L’Etat avait créé des conditions de production parce qu’en mettant sur la table 100 milliards qui avaient permis de fournir des semences subventionnées aux paysans dont 50% de semences certifiées et également une bonne enveloppe pour les autres espèces de semences notamment le maïs surtout le maïs hydride qui a donné une forte production dans le pays plus particulièrement dans le Saloum mais le matériel agricole n’était pas alors oublié et le focus, c’était sur l’engrais parce que c’était la forte demande des paysans.

Il en a même des paysans qui demandaient qu’on mette toute la subvention au niveau des engrais et laissaient se débrouiller pour les semences mais l’Etat avait quand même bien arbitré de sorte que l’enveloppe qui devait aller aux semences, a été consistante mais celle qui allait à l’engrais était très importante.

Je félicite les producteurs sénégalais, les paysans. Ils ont fait de grandes emblavures permettant cette année de dépasser les surfaces cultivables de l’année dernière et pour la moyenne même des cinq dernières années, nous avons constaté que les emblavures de cette année, peuvent être même considérées comme double celles, il y a cinq ans.

Donc, quand on félicite l’Etat et les producteurs, il y a lieu de féliciter le ministère de tutelle, c’est-à-dire le ministère de l’agriculture qui avait fait une bonne planification et qui avait accompagné les producteurs et présentement, on est en pleine campagne de commercialisation et le ministre Samba Ndiobéne Kâ, a effectué des tournées où il y avait tous les acteurs. C’est cela que nous approuvons, c’est cela que nous encourageons. Rien ne doit se faire par une seule partie, il faut un travail inclusif.

Et dans ses déplacements, dans ses réflexions, dans ses réunions, il invite tous les acteurs et c’est ça qui fait aujourd’hui sa force.

Nous devons l’encourager mais nous devons également l’accompagner parce qu’il a pris le bon sens. Je crois que concernant l’état de l’hivernage, je peux dire que l’année dernière, le Sénégal avait eu un peu plus de 3 millions de tonnes de céréales mais cette année, on a dépassé les 4 millions de tonnes, cela veut dire que dans ce domaine, il n’y a plus de peur parce que, il n’y aura pas de famine dans ce pays.

Plus de 4 millions de tonnes de céréales ont été récoltées cette année. Et pour l’arachide également, c’est estimé plus de 1 million 700 tonnes et je crois que ça également, est très important. Et concernant les autres variétés, le Sénégal a aussi fait des records. Donc, on a réalisé un bon hivernage.

Nous félicitons et encourageons le gouvernement d’avoir mis une enveloppe conséquente de 100 milliards et l’invitons également à faire plus pour la prochaine campagne mais surtout à encadrer les acteurs pour une bonne commercialisation.

 Il faut reconnaître que la campagne est timide. Cela a débuté partout dans le pays mais compte tenu effectivement du manque d’argent dû au non payement des dettes dues aux opérateurs, cela a quand même un peu posé problème.

L’Etat avait promis effectivement dès l’ouverture de la campagne de faire de sorte que, une bonne enveloppe soit dégagée pour régler une bonne partie des dettes. Et bien 15 milliards ont été d’abord débloqués, il y a presque 2 semaines mais comme vous le savez avec une ardoise de plus de 70 milliards, quand on parle de 15 milliards, déjà, vous reconnaissez qu’il y a problème.

Cependant l’Etat fait encore des efforts parce que pas plus tard qu’aujourd’hui, l’Etat a encore pris des engagements pour cette semaine 15 autres milliards seront trouvés, cela va faire 30 milliards.

Alors que dans sa tournée économique, à Fatick et à Kaffrine, le Président de la Republique que nous félicitons, avait annoncé 40 milliards pour permettre aux opérateurs de pouvoir régler au moins une bonne partie de leurs dettes au niveau des banques afin de pouvoir contracter d’autres dettes leur permettant de faire une bonne campagne de commercialisation.

Si aujourd’hui donc, 15 milliards ont été débloqués, il y a 15 jours, 15 autres milliards vont venir, ça sera 30 milliards, je crois que d’ici la fin du mois de janvier, les 40 milliards ou bien plus, seront débloqués et cela nous permettra effectivement de permettre à la campagne de commercialisation d’attendre sa vitesse de croisière mais présentement, il mérite des efforts de part et d’autre parce que les opérateurs sont à féliciter.

Il y a également les exportateurs qui n’avaient pas pu commencer parce que quand on a ouvert la campagne de commercialisation le 30 novembre, on leur avait dit que vous ne pouvez pas débuter que, un mois après les huileries.

C’est pour cette raison, eux, ils ont eu l’autorisation et je crois que la quantité est déterminée par le ministre de l’agriculture. Ça veut dire que cette semaine, les exportateurs vont commencer et c’est un maillon important dans la commercialisation.

Ça va certainement permettre de dépasser beaucoup plus le plancher qui était arrêté à 280 F mais je crois que, avec le démarrage des achats des opérateurs, des exportateurs, certainement, vous allez entendre plus de 330 F parce qu’il y a une semaine, dans les marchés de Touba, on payait le kilo à 380 F. Donc, on a réalisé un bon hivernage. Il doit falloir tout simplement encadrer la campagne de commercialisation pour permettre aux producteurs de pouvoir bénéficier de la sueur de leur front.

Est-ce que la SONACOS est en mesure d’acheter toute cette quantité d’arachides chez les producteurs ?

 La SONACOS déjà n’a plus de leçons à apprendre, elle n’a plus rien à prouver en termes de commercialisation.

La Sonacos, dès le départ, avait signalé qu’elle a déjà son argent lui permettant de pouvoir faire une bonne campagne de commercialisation. Cela ne veut pas dire que la campagne va aller avec l’argent de la Sonacos parce que la Sonacos ne va pas au niveau des collectes pour acheter, c’est le carreau-usine. La Sonacos a son argent au niveau des centres de regroupage et attend que maintenant les opérateurs aillent au niveau des points de collectes acheter pour venir lui livrer et quelques jours faire une facturation pour rentrer dans leurs fonds.

Donc, c’est heureux que la Sonacos a son argent mais si les opérateurs n’ont pas les moyens d’aller prendre les arachides au niveau des  points de collecte, au niveau des communes pour venir les amener dans les centres de groupages, là , c’est un grand problème mais je crois que la Sonacos trouvera même une stratégie parce que c’était notre position que la Sonacos ne reste pas seulement  au niveau de ces centres et attendre que l’arachide lui vienne d’abord des points de collecte, non , il faudrait faire des  avances sur facture, ce qui permettra  à des opérateurs de prendre l’argent de la Sonacos pour aller récupérer l’arachide au niveau des points de collecte et pour venir maintenant rembourser la Sonacos, ça se faisait et ça permettait à la Sonacos d’avoir à temps ses graines mais d’avoir des clients fidèles parce que  si l’opérateur ne sera pas assez appuyé par la Sonacos, même s’il a ses graines, rien ne l’oblige à vendre à la Sonacos, il peut aller vendre à un exportateur.

Et je crois que là, c’est une stratégie qu’il faut développer parce que la Sonacos avait commencé même une contractualisation avec les producteurs mais ça n’avait pas répondu aux attentes, ce qui fait qu’il faudrait qu’on continue à réfléchir sur ça mais je crois que faire des avances aux opérateurs et attendre qu’ils viennent directement à la Sonacos, je crois que c’est bon.

Est-ce que la Sonacos respire financièrement ?

Je crois que pour la campagne de commercialisation, vous voyez ces deux dernières années, la Sonacos était même obligée de restituer l’argent qu’elle empruntait au niveau des banques étrangères. C’est parce que quand la Sonacos emprunte cet argent et qu’il y a des couacs entre les opérateurs qui doivent prendre des points de collecte pour venir à la Sonacos, la Sonacos peut ne peut ne pas avoir le quota qu’elle souhaiterait avoir, c’est pourquoi l’année dernière, leur estimation de collecte n’était pas atteinte. Et je crois que cette année aussi, avec le démarrage très timide que je vois, si la Sonacos ne change de stratégie, l’argent peut y être sans pour autant qu’on reçoive l’arachide qu’il faut.

Aujourd’hui, quelles sont les innovations à apporter pour booster le secteur agricole ?

D’abord, il faut régler le problème des financements parce que, on peut dire qu’il y a que deux banques : la LBA que nous félicitons et la BNDE.La Banque Agricole (LBA), nul était ses appuis, l’agriculture sénégalaise serait moribonde mais quand même c’est une banque qui comprend bien les paysans et je crois qu’elle a effectivement été à côté des paysans et des opérateurs. Il va falloir que l’Etat les accompagne davantage pour le remboursement des dettes contractées par les paysans et par les opérateurs, cela va leur permettre de pouvoir faire fonctionner la banque mais de permettre également à  ces derniers de pouvoir disposer des crédits et l’Etat fait des efforts mais je crois que des études beaucoup plus poussées seront encore faites à la sortie de cette campagne pour qu’on évite définitivement ces genres de situation, qui font qu’aujourd’hui beaucoup d’opérateurs ne peuvent plus bénéficier d’aucun crédit au niveau des banques et sans les crédits octroyés, la banque ne peut pas respirer. Et je crois que l’Etat prendra les moyens, les décisions qu’il faut et que la banque également pourra prendre dans l’avenir toutes les dispositions pour permettre à notre agriculture d’être moderne mais également d’être durable.

Parlez-nous un peu de votre organisation, Forces paysannes, sa mission et le rôle que l’organisation est en train de jouer dans le secteur agricole présentement ?

Forces Paysannes, c’est une plateforme agricole que j’ai créée dès mon élection à l’Assemblée nationale en 1998 parce qu’au cours des débats pendant le vote du budget alors, je voyais d’éminents députés, élus par le monde rural, alors ils passaient tout leur temps à tendre la main en disant : aider nos paysans, il faut assister nos paysans. Je dis que non, les paysans ne doivent pas se suffire tout simplement d’assistanat ou bien d’aide. Ils ont des droits dans ce pays, ce qui leur manquait, c’était d’avoir la voix pour être écouté. Et j’ai pensé de mettre sur pied Forces Paysannes. Je l’ai créées et ça m’a permis de jouer un rôle d’abord d’interface entre le paysannat et l’Etat. J’ai été également leur porte-parole et je traduisais toutes leurs aspirations et l’Etat nous entendait, l’Etat nous suivait et il nous écoutait. Et c’était important parce qu’on avait manqué la voix.

Maintenant notre mission,  n’était pas tout simplement, parce qu’on n’est pas un syndicat, notre rôle, c’était de défendre les intérêts des paysans mais également notre mission, c’était dès les encadrer pour que l’agriculture soit un métier où les paysans seront considérés comme des entrepreneurs mais pas pour quelques travailleurs qui sont là, qui ne travaillent que pour suivre, non, désormais, on doit savoir que c’est un métier et ceux qui exercent ce métier, non seulement, ils se nourrissent par leurs efforts mais c’est eux qui nourrissent  le reste du pays et faire de sorte que donc la mission principale de Forces paysannes, c’était une organisation des paysans, une organisation qui dépassait les coopératives mais qui leur permettait de pouvoir asseoir une agriculture durable , qui leur permet non seulement de régler  leurs problèmes de nourriture mais de régler globalement leurs problèmes au niveau des services liés à toute leur vie.

Propos recueillis par Massaër DIA  ( Lii Quotidien)