Le 27 décembre prochain, le Sénégal pourrait bien entrer dans une nouvelle ère. Le Premier ministre Ousmane Sonko s’apprête à prononcer sa première Déclaration de Politique Générale (DPG) devant l’Assemblée nationale. Loin d’être un simple rituel institutionnel, ce discours est attendu comme un moment décisif, porteur de promesses de transformation pour un pays en quête d’une trajectoire renouvelée.
Le choix même de retarder cette déclaration pour exiger la rectification du règlement intérieur de l’Assemblée témoigne d’un engagement inédit envers la légalité et la transparence. Cette rigueur, doublée d’un souci constant de pédagogie, laisse entrevoir un discours qui ne sera pas un simple exposé technique, mais une véritable proposition de contrat social renouvelé.
Cet événement intervient dans un contexte où les attentes populaires n’ont jamais été aussi fortes. La jeunesse sénégalaise, confrontée à un chômage endémique et des horizons incertains, exige des réponses claires. L’économie, marquée par une dette publique galopante, peine à trouver un souffle nouveau. C’est dans ce climat chargé que Sonko devra dévoiler les contours de son « Plan Sénégal 2050 », une vision qui ambitionne de tourner la page d’un passé jugé décevant pour ouvrir celle d’un avenir plus prometteur.
Les Déclarations Politiques Générales : Entre Rituels et Transformations
Traditionnellement, les DPG ont été des exercices codifiés où les Premiers ministres énuméraient des plans d’action plus ou moins audacieux dans des discours souvent teintés de langue de bois. Ces déclarations étaient perçues davantage comme des obligations que comme des moteurs de changement. Mais cette fois, avec Sonko, l’heure semble au renouvellement.
Le Sénégal se trouve à un carrefour critique. Les attentes populaires sont exacerbées par une instabilité économique croissante et une jeunesse désillusionnée. Les DPG passées offrent des enseignements précieux. Celle de Habib Thiam, en 1993, intervenait dans un contexte de crise politique et économique marqué par la dévaluation du franc CFA. Thiam avait misé sur des appels à l’unité nationale et à une gestion rigoureuse des finances publiques, dans un style concis mais direct. Ce discours avait pour objectif de restaurer la confiance dans les institutions tout en atténuant les tensions sociales.
En 2013, Aminata Touré, quant à elle, avait adopté une approche différente, en centrant son discours sur des réformes immédiates, notamment dans les domaines de la justice et de la gouvernance. Avec son ton pragmatique, elle avait cherché à affirmer l’efficacité et la transparence du gouvernement dans un contexte où les scandales de corruption entachaient la confiance populaire. Son style contrastait avec celui de Thiam, privilégiant une vision axée sur des résultats concrets à court terme.
Pour Ousmane Sonko, le défi sera de naviguer entre ces deux pôles – proposer une vision à long terme tout en répondant aux urgences actuelles. Ce contexte exige une articulation claire entre les aspirations du peuple et les moyens concrets pour y parvenir.
Le Plan Sénégal Émergent (PSE) : Une Ambition Critiquée
Le Plan Sénégal Émergent (PSE), introduit par le précédent régime, se voulait une feuille de route ambitieuse vers l’émergence économique. Mais pour Sonko, ce programme a davantage symbolisé une dépendance accrue à l’égard de l’endettement extérieur et des investisseurs étrangers. Il n’a pas hésité à le qualifier de « Plan Sénégal Endetté ».
En 2016, Sonko dénonçait déjà : « 80 % des projets du PSE sont attribués à des étrangers : des Marocains, des Français, etc. Ce qui fait que la richesse que devaient générer ces projets est exportée. » Il pointait du doigt une stratégie économique trop dépendante des ressources naturelles, avec peu de bénéfices pour les industries locales ou la jeunesse sénégalaise. Cette critique s’est avérée prophétique : en 2023, la dette publique a atteint 80,8 % du PIB, amplifiant les vulnérabilités du pays face aux crises économiques mondiales.
Le PSE a certes permis des avancées infrastructurelles, mais ces bénéfices sont éclipsés par l’absence d’autonomie économique durable. Sonko voit cette situation comme une opportunité de réorienter le modèle économique vers une souveraineté accrue et une gestion plus responsable.
Le Plan Sénégal 2050 : Une Vision Ambitieuse
Le discours est attendu comme une symphonie d’espoir. Plus qu’un simple Premier ministre, Ousmane Sonko se positionne comme un architecte du futur. Son Plan Sénégal 2050 est décrit par ses proches comme une vision systémique, qui transcende les clivages politiques et propose un Sénégal affranchi de sa dépendance économique extérieure, durablement ancré dans un développement inclusif. Face aux échecs perçus du passé, Sonko propose un « Plan Sénégal 2050 », une vision structurée pour corriger les déséquilibres structurels et socio-économiques. Ce plan, désormais publié dans son intégralité, offre une feuille de route détaillée pour les trois décennies à venir. Plusieurs axes majeurs se dégagent :
Transition énergétique et souveraineté économique
Une exploitation durable des ressources gazières et pétrolières, avec une attention accrue aux impacts environnementaux.
Des investissements massifs dans les énergies renouvelables, visant à réduire la dépendance aux importations et à stimuler l’emploi local.
Réformes fiscales et industrielles
Une fiscalité repensée pour mobiliser des ressources intérieures et soutenir les petites et moyennes entreprises.
Le développement d’une bourgeoisie industrielle nationale, indispensable à une croissance autoportée.
Inclusion sociale et éducation
Une réforme profonde de l’éducation pour développer des compétences technologiques et entrepreneuriales, alignées sur les besoins du marché.
Des politiques centrées sur la jeunesse, avec des initiatives ciblées pour favoriser l’emploi et l’innovation.
Planification à long terme
Une stratégie sur 30 ans pour réduire les inégalités et renforcer la résilience aux crises climatiques et économiques, inspirée des succès de nations asiatiques et scandinaves.
Le Plan Sénégal 2050 se distingue par sa clarté et son ambition, présentant des indicateurs précis pour mesurer les progrès à chaque étape. Cette approche vise à instaurer une nouvelle ère de responsabilité et de transparence.
Dans les couloirs du pouvoir, on murmure que Sonko a rédigé lui-même une partie du discours, en y insufflant sa rigueur d’ancien auditeur et sa passion d’homme d’État. Chaque mot, chaque phrase est pesé pour raisonner, non seulement dans l’hémicycle, mais aussi dans le cœur des Sénégalais.
Un héritage politique en construction
Ce rendez-vous du 27 décembre s’inscrit dans une trajectoire plus large, celle d’un homme qui n’a jamais cessé de surprendre. Inspecteur des impôts devenu parlementaire hors norme, Ousmane Sonko a bousculé les codes, redéfini le rôle du député, et inspiré une génération entière par son audace et son intégrité. Dans une Afrique où le leadership visionnaire est trop souvent l’exception, Sonko se positionne comme une figure unique, capable de conjuguer expertise technique et ambition patriotique. Sa DPG sera scrutée au-delà des frontières, comme un modèle potentiel de ce que peut être une gouvernance audacieuse et éclairée. Cette déclaration politique générale n’est pas qu’un exercice d’éloquence. À travers ce discours, il ne s’agira pas seulement de convaincre l’Assemblée ou de répondre à ses détracteurs. Il s’agira de rallumer la flamme de la confiance entre l’État et le peuple, et de montrer qu’un avenir plus juste, plus inclusif, et plus prospère est à portée de main.Elle est une invitation à rêver, mais aussi à agir. Si Ousmane Sonko réussit à insuffler dans cet instant solennel l’énergie et la clarté d’une vision partagée, alors le 27 décembre marquera un tournant non seulement pour son mandat, mais pour le Sénégal tout entier.
« Un homme, une vision, un pays à réinventer”, telle pourrait être l’essence de cette DPG. L’histoire retiendra si ce moment aura été celui d’un simple discours ou le début d’une révolution politique et sociale.
Mouhamadou Mansour Sow