Le président Donald Trump semble vouloir entraîner le monde entier dans une tournure protectionniste, s’appuyant sur une doctrine déjà éprouvée lors de son premier mandat, mais exacerbée cette fois-ci. Sa stratégie consiste principalement à imposer des taxes, en priorité à la Chine, mais aussi aux autres pays du monde. Par exemple, lors de son premier mandat, les droits de douane sur les importations chinoises avaient atteint 25 % sur une valeur cumulée de 360 milliards de dollars de produits. Une escalade similaire semble se profiler.

Dans un monde interdépendant, marqué par des fléaux communs, des menaces en termes de sécurité et de manque d’innovation, ainsi que des défis climatiques qui nous rappellent constamment la nécessité de repenser nos modes de production et d’échange, on peut légitimement se poser la question de savoir si cette volonté protectionniste a des chances de succès

Un aspect positif de cette stratégie réside néanmoins dans sa volonté souverainiste : protéger l’industrie locale américaine et renforcer les capacités de production nationale. Cependant, cette approche peut être particulièrement périlleuse dans une économie où les importations représentent environ 14 % du PIB (soit près de 4 000 milliards de dollars en 2023). Les pays africains, pour leur part, pourraient s’inspirer de cette volonté de renforcer leurs bases économiques locales en ayant recours a des politiques de contingentement ciblées. En 2022, le commerce intra-africain représentait seulement 17 % des échanges totaux du continent, contre plus de 60 % pour l’Union européenne. Ces chiffres soulignent l’urgence pour les économies africaines de construire des chaînes de valeur locales.

À mon sens, cette volonté de protectionnisme du coté américain ne devrait pas se limiter à des justifications souverainistes. Monsieur Trump devrait s’entourer de grands économistes, qui, s’ils ne sont pas biaisés, ne peuvent pas valider une telle vision totalement protectionniste, et ce pour cinq raisons principales :

1. L’interdépendance économique mondiale : un levier de croissance

La mondialisation a permis une croissance sans précédent grâce à la spécialisation des pays dans leurs domaines d’avantage comparatif. Par exemple, la Chine a capitalisé sur son rôle d’« usine du monde » pour devenir la deuxième puissance économique mondiale, avec un PIB de 19 370 milliards de dollars en 2023. Le protectionnisme pourrait briser cet équilibre. Les États-Unis, avec des partenaires commerciaux comme le Canada, le Mexique et la Chine, doivent comprendre que ces interdépendances renforcent leurs performances globales. Selon le FMI, une baisse de 10 % des échanges mondiaux pourrait réduire la croissance mondiale de 1 à 1,5 point de pourcentage par an.

2. Le coût des importations et la compétitivité des entreprises américaines

Augmenter les taxes sur les importations générera certes des recettes supplémentaires à court terme. Mais à long terme, cela pourrait affaiblir la compétitivité des entreprises américaines, notamment dans des secteurs dépendants de composants étrangers (comme l’électronique ou l’automobile que Trump envisage de revigorer). Par exemple, Tesla dépend fortement des batteries importées, dont les prix pourraient grimper de 10 à 15 % en cas de nouvelles taxes. Cela augmenterait les coûts de production, ce qui se répercuterait sur les prix finaux, limitant ainsi la demande.

3. Les risques inflationnistes pour les consommateurs américains

La hausse des droits de douane pourrait provoquer une flambée des prix aux États-Unis. Lors de la guerre commerciale avec la Chine, l’inflation des biens touchés par les droits de douane avait augmenté de 0,2 à 0,4 %. Si les consommateurs américains voient leur pouvoir d’achat diminuer, cela affectera leur consommation, qui représente 68 % du PIB américain. Une baisse de la consommation entraînerait une chute de l’investissement, freinant ainsi la croissance à long terme.

4. La dépendance vis-à-vis de la Chine et des investisseurs étrangers

L’économie américaine est fortement liée à la Chine. En 2023, la Chine détenait environ 850 milliards de dollars de la dette publique américaine, faisant d’elle l’un des plus grands créanciers des États-Unis. Une politique de représailles pourrait inciter Pékin à réduire ses investissements dans les bons du Trésor, augmentant ainsi les coûts de financement pour l’État fédéral. De plus, 20 % des produits électroniques importés aux États-Unis proviennent de Chine. Une rupture brutale avec cet approvisionnement pourrait désorganiser des secteurs entiers, comme l’électronique grand public ou les télécommunications.

5 risque potentiel d’affaiblissement du dollar

La détermination de Donald Trump à adopter des stratégies protectionnistes devrait, en toute logique, susciter des réactions sous forme de représailles économiques. Ces mesures pourraient s’accompagner de tentatives plus marquées de coalition monétaire et économique entre les pays du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) et d’autres nations en développement. Ces coalitions pourraient également attirer des pays développés préoccupés par les positions controversées de Trump sur les questions sociales et de politique étrangère.

Un tel alignement pourrait non seulement accélérer la dédollarisation de l’économie mondiale mais aussi amplifier la polarisation des relations internationales.

Les États-Unis doivent réfléchir à des alternatives

Bien que l’idée de protectionnisme dont le but ultime est de favoriser la relocalisation des activités économiques soit séduisante, elle ne doit pas s’accompagner d’un isolement excessif. lequel risque de produire les effets inverses des objectifs recherchés.

 À l’instar de d’un pays comme l’Allemagne, qui combine protection de ses industries stratégiques et ouverture à l’innovation mondiale, les États-Unis pourraient adopter un modèle hybride. Ce modèle pourrait reposer sur deux piliers :

Investir massivement dans la recherche et le développement pour maintenir un leadership technologique. Les États-Unis consacrent actuellement 3,5 % de leur PIB à la R&D, ce qui est encore peu. Monsieur TRUMP dans son discours d’investiture a beaucoup insisté sur une vision notamment de reconquête de l’espace laquelle devrait justifier cette augmentation des budgets de recherche développement

Établir des partenariats commerciaux sélectifs avec des pays partageant des valeurs similaires en matière de durabilité et d’innovation. Je nourris l’espoir que Monsieur Trump enfin accorde à l’Afrique l’importance qu’elle mérite en tant que berceau futur de la croissance mondiale de demain

Enfin, il est crucial que Monsieur Trump évite de recourir à des pressions excessives ou à des moyens coercitifs pour imposer ses idées. Il doit jouer moins solitaire et plus collectif. Une politique protectionniste intelligente, modérée par des quotas d’importation ou des taxes ciblées, pourrait être plus efficace et éviter des tensions inutiles.

Magaye GAYE

Economiste