La cour des Comptes a rendu public son rapport définitif sur la situation des Finances Publiques Gestions de 2019 au 31 Mars 2024, ce mercredi 12 février 2025. Ce rapport explosif expose une série d’irrégularités et de manipulations comptables. Ecart de 81 milliards de F CFA sur l’encours de la dette, un écart de 104,87 milliards de F CFA sur les disponibilités bancaires, un surfinancement partiellement utilisé pour des dépenses sans couverture budgétaire, une dette bancaire importante non retracée dans les comptes de l’Etat, ces manquements graves décelés par le rapport de la Cour des Comptes.

Les finances publiques sénégalaises ont été secouées par des pratiques « frauduleuses » jamais connues du grand public.

Ecart de 81 milliards de F CFA sur l’encours de la dette

D’après le rapport, l’encours de 13 773 milliards de F CFA de la dette de l’Administration centrale au 31 décembre 2023 présenté dans le rapport du Gouvernement est différent de celui de 13 854 milliards de F CFA retracé dans le PLR 2023, soit un écart de 81 milliards de F CFA.

« Cet écart porte sur la dette intérieure et concerne les bons du Trésor en compte de dépôt et les bons du Trésor par adjudication de courte durée (inférieure à un an) qui n’ont pas été remboursés dans l’année et, par conséquent intègrent, l’encours. Par ailleurs, l’encours présenté dans le rapport du Gouvernement n’inclut pas celui de la dette bancaire hors cadrage et certains tirages sur les ressources extérieures », précise -t-on dans le rapport.

Disponibilités bancaires : un écart de 104,87 milliards de F CFA soulevé

« La situation des disponibilités de l’Etat transmise à la Cour par le Trésorier général est arrêtée à 278,47 milliards de F CFA au 31 décembre 2023 alors que le rapport du Gouvernement indique un solde de 173,6 milliards de F CFA, soit un écart de 104,87 milliards de F CFA. Toutefois, la circularisation auprès de la banque B.A. révèle l’existence :  d’un solde créditeur au 31 décembre 2023 d’un montant de 479 607 713 FCFA du compte n°80130730000 ouvert au nom du Trésorier général mais non communiqué par le Trésor ; d’un solde au 31 décembre 2023 de 3 141 FCFA en lieu et place de 15 000 003 141 FCFA enregistré au compte n°80080030000 ouvert au nom de l’Etat du Sénégal et géré par le Ministre chargé des finances que le Trésorier général a indument intégré dans ses disponibilités. Au total, les disponibilités du Trésor au 31 décembre 2023 sont arrêtées à 263,95 milliards de F CFA », précise le rapport.

D’après la Cour des Comptes, le Trésorier général admet que le compte est bien ouvert à son nom. Il ajoute que « le solde dudit compte ouvert dans les livres de la Banque B.A. au 31 décembre 2023 est bien de 15 000 000 141 FCFA. Ce solde résulte de la réalisation d’une opération de trésorerie (mouvement de fonds) constatée le 29 décembre 2023 dans ses livres (cf. attestation bancaire de réception de fonds fournie par la Banque B.A. et de la référence de l’opération jointe en annexe n°1).

En considérant le relevé transmis par la Cour des Comptes, il est constaté que le montant de 15 000 000 000 qui fait la différence est passé au crédit du compte en début d’année 2024 (03 janvier 2024). Ce qui résulterait d’un problème technique au niveau de la Banque. Sur cette base, il est sollicité de la Cour des Comptes le rajout de ce montant aux disponibilités du Trésorier général au 31 décembre 2023 qui doivent ressortir à un montant de 278,47 milliards de F CFA ».

Le Trésorier général vire 15 milliards dans un compte ouvert à son nom

D’après le rapport, le Trésorier général a produit une attestation de la banque B.A. confirmant l’existence d’un virement d’un montant de 15 000 000 000 F CFA à la date du 29 décembre 2023 dans le compte n°80130730000 ouvert à son nom. Toutefois, la Cour souligne que le relevé transmis par la banque affiche un solde de 479 607 713 F CFA à la date du 31 décembre 2023.

« En réalité, le Trésorier général a procédé le 29 décembre 2023, à partir de son compte règlement ouvert à la BCEAO, à un virement d’un montant de 15 milliards de F CFA dans le compte n°80130730000 ouvert à son nom dans les livres de la banque B.A. Ce virement positionné le 02 janvier 2024 est transféré le même jour dans le compte n°80080030000 ouvert au nom de l’Etat du Sénégal dans la même banque et géré par le Ministre chargé des finances. Le montant est aussitôt utilisé pour payer des dépenses non autorisées au profit de divers fournisseurs », explique le rapport.

En définitive, la Cour retient le solde de 479 607 713 F CFA au 31 décembre 2023 ; ce solde n’a pas varié en fin janvier 2024. Par ailleurs, la situation des disponibilités du Trésor présentée dans le rapport du Gouvernement n’inclut pas les dépôts à terme (DAT) (Cf. point 2.4) ainsi que les soldes des comptes ouverts par les ministres chargés des finances au nom de l’Etat du Sénégal.

Des anomalies constatées dans les surfinancements

Le rapport précise que le surfinancement est le dépassement du montant nécessaire pour couvrir le besoin de financement composé du déficit, de l’amortissement de la dette et des autres charges de trésorerie. La Cour relève des discordances dans les reports des surfinancements et l’utilisation en 2023 d’une partie du surfinancement.

Des discordances dans les reports des surfinancements

D’après des discordances sont relevées dans les reports des surfinancements.

« Le surfinancement de 2020 de 54,71 milliards de F CFA n’a été reporté en 2021 que pour un montant de 51,31 milliards de F CFA, soit un écart de 3,4 milliards de F CFA. Celui de 2021 d’un montant de 238,24 milliards de FCFA n’a été reporté en 2022 que pour 120,7 milliards de F CFA, d’où un écart de 117,54 milliards de F CFA. Le Ministre des Finances et du Budget avait soutenu, dans le rapport sur l’exécution des lois de finances de 2022, qu’une partie de ce surfinancement a été rétrocédée à PETROSEN », note le rapport.

Le non report de 35,4 milliards de F CFA de surfinancement

« S’agissant de la gestion 2022, le surfinancement de 35,4 milliards de F CFA n’a pas été reporté en 2023. Selon le Ministère des Finances, le non-report se justifie par « la hausse de l’amortissement de la dette porté à 944 milliards de F CFA au lieu du montant de 908,51 milliards de F CFA retenu qui résulte de la fluctuation de change » », renseigne le rapport.

La Cour fait observer que le montant de l’amortissement arrêté en 2022 est de 908,51 milliards de F CFA et non 944 milliards de F CFA. Et la raison invoquée par le ministère relativement aux variations de change ne peut faire fluctuer l’amortissement. Ces variations sont neutres sur l’amortissement. En effet, pour l’amortissement c’est la valeur d’entrée qui détermine sa valeur de sortie. Les fluctuations affectent tout au plus les comptes de change.

« L’écart de 35 milliards de F CFA sus indiqué avait été relevé dans le cadre de l’instruction du RELF 2022 et résultait de la comptabilisation dans l’amortissement de la dette d’un bon du trésor (SN0000001744-BAT-05-2022 du 11/02/2022) de courte durée qui n’affecte pas le financement du budget », précise le rapport.

326, 43 milliards de F CFA destinés au remboursement de dettes bancaires, consommés sur autorisation du Ministre des Finances et du Budget

« Le tableau de financement de 2023 présenté dans le rapport du Gouvernement indique un surfinancement d’un montant de 604,7 milliards de F CFA à intégrer dans les moyens de couverture du besoin de financement de 2024. La Cour constate que sur les 604,7 milliards de FCFA annoncés au titre du surfinancement, une partie est consommée sur autorisation du Ministre des Finances et du Budget, pour un montant de 326, 43 milliards de F CFA destiné à des dépenses relatives au remboursement de dettes bancaires, au secteur de l’énergie et au soutien à la consommation », renseigne le rapport.

D’après la Cour des Comptes, une partie de ces décaissements est effectuée par le Trésorier général sur initiative des gestionnaires des comptes de dépôt de services non personnalisés de l’Etat 3683047 « CAP/Gouvernement » et 3683148 « Soutien prix à la consommation » qui relèvent respectivement du Ministère des Finances et du Budget et du Ministère du Commerce, de la Consommation et des PME. Les autres dépenses dont le remboursement de prêts contractés auprès de IB Bank T et B F et de la BDEV sans autorisation de l’Assemblée Nationale sont payées directement par le Trésorier général.

Dépenses d’un montant de 155 milliards de F CFA sans couverture budgétaire

La Cour constate, dans la comptabilité générale de l’Etat, l’alimentation du compte CAP Gouvernement pour un montant de 155 milliards de F CFA sans couverture budgétaire. Le Ministère des Finances et du Budget précise que le montant de 155 milliards de F CFA est imputé par erreur dans le compte au moment du basculement en 2023 sur le nouveau système intégré de gestion des comptes de dépôt (SIGCCD). Le relevé du compte de dépôt est joint pour attester qu’aucune dépense n’a été imputée sur ce montant et que la trésorerie de l’Etat n’a pas été affectée par cette erreur. La Cour relève, cependant, que toutes les ressources portées au crédit du compte de dépôt CAP Gouvernement figurant au journal des opérations d’ordre à la date du 15 septembre 2023 sont entièrement consommées et aucune écriture d’annulation n’a été effectuée. En définitive, ces décaissements irréguliers d’un montant total de 481,42 milliards de F CFA doivent être déduits du surplus de financement annoncé de 604,7 milliards de F CFA, ce qui ne laisse qu’un reliquat de 123,28 milliards de F CFA.

Des pratiques impactant la trésorerie de l’Etat

D’après le rapport, le solde de trésorerie au 31 décembre 2023 de 278, 5 milliards de F CFA ne permet pas de couvrir tous les engagements du Trésor qui s’élèvent à 879,15 milliards de FCFA.

« Le déséquilibre de trésorerie qui limite les possibilités de l’Etat à couvrir ses engagements résulte de certaines pratiques liées notamment à :  des dotations de comptes de dépôt sans couverture budgétaire ; des dépenses autorisées par décret d’avance et non régularisées d’un montant de 204 584 374 324 F CFA ; l’avance est accordée dans le cadre de conventions de dettes croisées avec la SENELEC et destinée notamment au paiement d’impôts, de droits et taxes dus à l’Etat », note le rapport.

Des manquements dans la gestion des dépôts à terme (DAT)

« Le DAT est une somme d’argent bloquée sur un compte bancaire et productive d’intérêt au bout de l’échéance fixée dans la convention y relative. Il a vocation à être restitué au comptable public déposant à l’échéance convenue. La balance définitive des comptes de la Trésorerie générale au 31 décembre 2023 fait apparaitre des placements dans les banques commerciales au compte 515119 « DAT-TG Banques commerciales ». L’annexe n°3 du rapport présente la situation détaillée des DAT. Les travaux réalisés par la Cour ont permis de relever une absence de concordance entre le compte « DAT-TG Banques commerciales » de la balance du TG et l’état de suivi des DAT, des DAT encore disponibles dans les livres des banques et des DAT cassés et non reversés au Trésor », note le rapport.

Une importante dette bancaire contractée hors circuit budgétaire

« Les engagements de l’Etat auprès du secteur bancaire découlent de conventions de financement signées par les différents ministres chargés des finances qui se sont succédé. Ces engagements sont contractés en dehors de l’autorisation parlementaire et ne sont retracés ni dans les lois de finances de la période (LFI, LFR, LR) ni dans les écritures de la Direction de la Dette publique, service ordonnateur de la dette publique. Les travaux de la Cour ont permis d’établir les constats suivants :  une dette bancaire importante non retracée dans la comptabilité publique ;  un service de la dette bancaire élevé ;  une gestion de la dette à travers des comptes bancaires mouvementés sur ordre du Ministre chargé des Finances ;  une dette bancaire exposant l’Etat à des risques budgétaires », précise le rapport.

Une dette bancaire importante non retracée dans les comptes de l’Etat

« Le rapport du Gouvernement établi sur la base des déclarations des banques fait ressortir au titre des crédits directs à l’Etat central un encours au 31 mars 2024 de 2 044,01 milliards de F CFA et des certificats nominatifs d’obligations (CNO) de 190,05 milliards de F CFA, soit un total de 2 234,06 milliards de F CFA » renseigne le rapport.

Il faut préciser qu’en raison de l’absence de suivi de ces crédits par le Ministère des Finances et du Budget et du caractère non exhaustif des informations transmises par les banques, il est difficile de déterminer avec exactitude l’encours de la dette bancaire. Sous réserve de la complétude des données, l’exploitation des documents bancaires a permis à la Cour de constater un encours global de la dette bancaire de 2 517,14 milliards de F CFA au 31 mars 2024.