Pendant que les autres puissances extra-africaines – Etats-Unis et pays européens – jouent aux échecs en Afrique, la Chine fini sa partie de Go. Elle s’est positionnée de façon périphérique et discrète, investissant dans les secteurs stratégiques, s’adaptant aux contraintes et aux règles sociétales souvent implicites, apparemment sans avoir le moindre recours à l’ingérence politique.

De cette façon contre-intuitive, la Chine est arrivée, petit à petit, à dominer la scène économique de multiples pays africains. Il s’agit d’une approche unique et redoutablement efficace puisqu’elle alterne standardisation et adaptation de la stratégie en fonction des pays. Face à cette nouvelle réalité, les pays d’Afrique se battent pour attirer davantage d’investissements directs étrangers (IDE), en particulier chinois, en révisant leurs modèles de gouvernance respectifs. Pendant ce temps, les puissances occidentales regardent avec désarroi comment la Chine domine chaque jour un peu plus, le panorama économique africain.

Au fur et à mesure que la puissance économique d’un Etat augmente, celui-ci cherchera à étendre son influence politique ; c’est l’essence même de l’économie politique. Voilà la raison pour laquelle la Chine agace autant les Etats-Unis et l’Europe. A raison, ces derniers partent du postulat que l’émergence du géant asiatique donnera lieu à une volonté d’avoir davantage de poids sur la scène globale et par là même à une baisse d’influence de leur part. Malheureusement pour eux, la Chine les tutoie et est désormais un concurrent puissant qui domine certains marchés dont l’Afrique.
Approche économique agressive et fortement diversifiée
Pendant que les puissances occidentales évitaient l’Afrique il y a 20 ans, la caricaturant comme un « continent bananier » gangréné par la corruption et la pauvreté et ne pouvant s’en sortir que grâce à l’aide publique au développement (APD), la Chine a cru au potentiel de l’Afrique et des africains. C’est ainsi qu’à partir de 2000 elle a commencé à implémenter minutieusement une stratégie inspirée du jeu de Go, encerclant des économies africaines ciblées grâce au triptyque APD/IDE/prêts. A ce jour, et comme le montre le graphique ci-dessous, la Chine arrive à rattraper les Etats-Unis en capitaux investis en Afrique.

A partir de 2003, la Chine commence à façonner l’Afrique que nous connaissons aujourd’hui. Pour ce faire, elle s’appuie sur ses deux principaux bras financiers, à savoir EximBank China et China Development Bank (CDB) ainsi que sur des fonds bilatéraux spécifiques comme China-Africa Development Fund. En total, ces organes financiers ont déversé 94,4 milliards de dollars en prêts répartis entre 2000 et 2015 .

En décembre 2015, à l’issu du 6ème Forum sur la Coopération sino-africaine (FOCAC) tenu en Afrique du Sud, le président Xi Jinping avait promis d’allouer une enveloppe de 60 milliards de dollars au continent africain sur les trois années qui suivent. A ce jour, plus de 75% de cette promesse a été tenue avec un total de 47 milliards. Ces décaissements portent désormais la part du stock total de la dette des pays d’Afrique subsaharienne tenu par l’Empire du Milieu à 20%. Toutefois, la Chine ne se contente pas d’augmenter la dépendance économique que l’Afrique a envers elle mais cherche à assurer le recouvrement en structurant les contrats de prêt de façon à lier l’argent octroyé à l’accès aux ressources naturelles – prêts contre ressources – et à la favorisation des entreprises chinoises pour l’implémentation des projets souvent dans des secteurs stratégiques.

Le pari des énergies renouvelables

Parmi les secteurs prometteurs où la Chine investit en Afrique il y a celui des énergies renouvelables. Le pays est le champion incontesté des investissements dans les énergies vertes, en particulier dans le marché du solaire où il produit 1MW sur deux de l’énergie solaire mondiale d’après les données publiées cette année par Bloomberg New Energy Finance. Le long des 15 dernières années, la Chine a augmenté annuellement ses investissements de 36,4% en moyenne grâce à des offres intégrées de l’Exim Bank of China.

Le 04 septembre dernier, l’UE a mis fin aux mesures de contrôle visant les importations de cellules et panneaux photovoltaïques provenant de Chine. Une telle mesure, qui contrebalance les tarifs imposés par les Etats-Unis – 10% sur les produits du solaire entrent en vigueur le 24 septembre et passent à 25% le 1er janvier 2019 – facilitera l’inondation du marché européen par des produits chinois, avec deux répercussions majeures plus que probables. D’une part, la production chinoise augmentera ostensiblement, favorisant la compétitivité des produits destinés à l’export à travers la réalisation d’importantes économies d’échelle.

Ceci aura un impact visible non seulement en Europe mais aussi, et surtout, en Afrique, où la domination par les coûts représente la meilleure stratégie d’internationalisation en raison du caractère anecdotique du ticket d’entrée. L’ultra-tension récemment développée par la Chine et l’off-grid semblent être des excellents choix d’investissement au vu de la faible électrification du continent ainsi que de l’absence de mesures règlementaires contraignantes pour les investisseurs étrangers. D’autre part, la chaine logistique sera modifiée et le « Made in Africa » pourrait aider la Chine à contourner les tarifs de Trump. Peut-être cette dernière option sera-t-elle abordée lors du Asia in Africa Investment Forum qui se tiendra le 09 octobre prochain à Pékin.

Transfert technologique et développement des talents africains de demain

La guerre économique sino-américaine pousse l’ensemble des acteurs économiques et politiques globaux à revoir leurs stratégies, en particulier la Chine.
Les leaders africains ont saisi l’occasion, lors du 7ème FOCAC, à travers une demande récurrente de voir le continent créer de la valeur plutôt que de se contenter de fournir des matières premières et consommer les produits finis.
L’intégration de l’Afrique au cœur de la chaine de valeur pousse la Chine à investir davantage dans la formation des talents africains de demain. D’ailleurs, la Chine attire de plus en plus d’étudiants africains à travers des bourses qui constituent un investissement non seulement dans la formation mais aussi, et surtout, dans la création d’une élite prochinoise qui contribuerait à l’accroissement de la puissance politico-économique globale de la Chine.

Sur le sol africain, à l’aide de partenariats public-privé (PPP), la Chine s’est immiscée non seulement dans les départements universitaires en lien avec les domaines d’activité stratégique les plus porteurs mais elle s’est mise aussi à exercer une influence culturelle à partir de l’enseignement secondaire avec les Instituts et classes Confucius. Le premier Institut a été inauguré en 2005 à Nairobi, la ville la plus convoitée de l’Est de l’Afrique.

En décembre 2009, c’était au tour du pôle logistique le plus important du Nord de l’Afrique : Tanger. Désormais, la Chine dispose de 54 Instituts Confucius ainsi que 24 classes Confucius répartis de façon stratégique sur le continent, façon jeu de Go. En 2017, 3500 professeurs plus 6000 volontaires ont bénéficié de bourses couvrant leurs séjours de formation en Chine afin qu’ils puissent assurer l’enseignement dans les classes et Instituts Confucius.

Finalement, la Chine et l’Afrique sont des acteurs importants de la scène économique globale ; la Chine en tant que puissance incontournable et l’Afrique en tant qu’essaim de pays ayant parcouru une bonne partie de la voie de développement. Avec la création de marchés transnationaux ou régionaux à l’instar de la CEDEAO, et si le AfCFTA rentre en jeu, l’Afrique gagnera en pouvoir de négociation. Avec cette ambition, la Chine constitue un allié stratégique grâce à son appui lors de la construction d’infrastructures, de l’adaptation des modèles de gouvernance et de la formation des talents de demain. Toutefois, il est important de rappeler que le surendettement des pays subsahariens envers la Chine met les dits pays en position de forte dépendance économique, voire politique, et les expose à hypothéquer davantage leurs ressources naturelles et leurs choix géopolitiques.
(Source : https://afrique.latribune.fr)