Alors que l’affaire dite « Jamal Khashoggi » n’a pas fini de livrer tous ses secrets, le tollé général qu’a suscité l’assassinat du journaliste saoudien à Istanbul, indispose les chefs d’Etat africain. La preuve, c’est la présence à Riyad, des présidents Macky Sall et Ali Bongo, qui assistent à la deuxième édition du Forum sur l’investissement, alors que l’Afrique du sud a annulé la venue de sa délégation ministérielle. L’Arabie saoudite est l’un des principaux partenaires financiers du Continent, chose ce qui explique le silence des dirigeants africains plus portés sur les intérêts financiers. Et ils ne sont pas les seuls…

Les chefs d’Etat africains font face de nouveau à un dilemme, comme c’est le cas à chaque fois qu’un de leurs principaux partenaires, surtout du Golfe, est empêtrée dans une mauvaise affaire. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’affaire « Jamal Khashoggi », du nom du journaliste saoudien victime de ce sordide assassinat en Turquie, est venue mettre les dirigeants africains dans l’embarras.

D’autant que c’est en pleine révélation de nouveaux éléments impliquant le pays d’origine du journaliste, que se tient à Ryad, la capitale saoudienne, la deuxième édition du Future Investment Initiative (FII).
L’événement qui se tient du mardi 23 au vendredi 25 octobre, est considéré comme le « Davos du désert », au regard de son audience et surtout de la notoriété des participants, entre chefs d’Etat du monde, dirigeants de grandes firmes mondiales et investisseurs internationaux.

Comme en 2017 pour la première édition, plusieurs chefs d’Etat du Continent ont été invités à la méga-conférence qui devrait réunir près de 4500 participants autour des questions relatives à la promotion de l’investissement. L’édition de cette année a été inéluctablement rattrapée par « l’affaire Khashoggi » avec le boycott de plusieurs personnalités, comme la directrice du FMI, Christine Lagarde, ou le président de la Banque mondiale Jim Yong Kim. Bien que certains, comme le PDG du groupe Total Patrick Pouyané, ont maintenu leurs présences, plusieurs dirigeants d’entreprises occidentales ont également annoncé leurs désistements à la conférence de Riyad à l’image du banquier ivoirien, Tidjane Thiam, PDG du Crédit Suisse ou encore des grands groupes français comme EDF.
Le sommet s’est d’ailleurs ouvert ce mardi 23 octobre en grande pompe avec la présence d’investisseurs et hommes d’affaires des pays du Golfe, d’Asie ainsi que de la Russie ou de la Chine.

Présence africaine
A la méga-conférence de Riyad, la voix de l’Afrique sera portée par plusieurs délégations notamment celles des présidents Ali Bongo Ondimba du Gabon, et Macky Sall du Sénégal. L’Ethiopie également a envoyé une délégation conduite par le vice-premier ministre, Demeke Mekonnen, et plusieurs autres pays du continent ont envoyé des représentants.

Alors que la présidence sénégalaise a informé que c’est sur invitation du roi Salman Ben Abdelaziz Al Saoud d’Arabie Saoudite que Macky Sall assiste à la conférence, le cabinet du président Ali Bongo a mis en avant le côté affaire de l’événement pour expliquer le déplacement du chef de l’Etat.

« Durant trois jours, hommes d’affaires, investisseurs, leaders d’opinion, dirigeants d’entreprise et chefs d’Etat, dont Ali Bongo Ondimba, échangeront sur les opportunités d’investissements et sur divers sujets actuels tels que l’innovation technologique, l’emploi et l’autonomisation des femmes », a souligné le communiqué publié à la veille du départ du président gabonais en Arabie Saoudite.

Selon la même source, au cour de la conférence, Ali Bongo interviendra en plénière sur l’un des thèmes majeurs de l’événement, intitulé : « Le continent mondial : Comment la transformation économique en Afrique sera-t-elle un moteur de la croissance internationale et de l’investissement ? ».
« A l’instar du Royaume d’Arabie saoudite, le Gabon est engagé depuis plusieurs années déjà dans un vaste programme de diversification de son économie portée par des secteurs clés tels que le bois, les mines et l’agro-industrie. Par ailleurs, cette rencontre sera l’occasion pour les plus hautes autorités, en tête desquelles le Président Ali Bongo Ondimba, de vendre la destination Gabon et attirer ainsi d’avantage d’investisseurs », a expliqué un communiqué de la présidence du Gabon.
Embarras et real politik
Sur le Continent, seule l’Afrique du Sud a décidé officiellement d’annuler le déplacement de sa délégation en raison des implications de « l’affaire Khas

hoggi ». La Tunisie a certes condamné par voie diplomatique, le sort qui a été réservé au journaliste mais c’est la nation arc-en-ciel qui a donné un autre son de cloche sur la position de l’Afrique par rapport à cette sordide affaire.
Dès le 17 octobre dernier, la diplomatie sud-africaine a fait savoir sa position à travers un communiqué dans lequel le gouvernement réitère son attachement au respect et à la promotion des droits humains, avant que le président Cyril Ramaphosa ne décide de l’annulation de la visite à Ryad du ministre de la Sécurité nationale, Dipuo Letsatsi-Duba. Officiellement, c’est en raison « d’affaires internes urgentes », mais les médias locaux ont vite fait le lien entre la participation de la délégation sud-africaine à la conférence, et « l’affaire Kashogghi ».

Comme lors de la « crise du Golfe », les chefs d’Etat africains sont inaudibles dans le concert des déclarations par rapport à un événement qui cristallise l’actualité internationale. L’explication mise en avant par plusieurs analystes, c’est qu’en plus du fait que la voix du continent porte peu sur une affaire d’une telle envergure, l’Arabie Saoudite est un important partenaire commercial du continent. En plus des dons et aideséconomiques, les investisseurs saoudiens, publics et privés, ont massivement investi en Afrique, et le Palais des Saoud est devenu un passage obligé pour les dirigeants africains en quête de « pétrodollars ».

Alors que l’opinion africaine, qui s’abreuve des révélations sans cesse relayées par les médias internationaux, ne cessent de s’émouvoir de cette affaire, le silence des dirigeants africains s’explique donc par la « real politik ».
Le « Davos du désert » est un événement consacrée à la promotion des investissements notamment dans l’économie du futur, qui a été lancé en 2017 par le puissant Fonds public saoudien d’investissement (PIF). Sous l’égide du prince héritier,Mohamed Ben Salmane (MBS), la première édition a réuni plus de 3.500 participants du monde entier avec une forte présence africaine, et à l’occasion, le PIF a annoncé des investissements de l’ordre de 500 milliards de dollars, dans le cadre de la « Vision 2030 ».

https://afrique.latribune.fr