En Afrique noire, il est beaucoup plus fréquent d’utiliser la téléphonie mobile que d’avoir accès à l’eau potable, d’être raccordé à l’électricité et de posséder un compte bancaire. Ce constat témoigne de l’essor impressionnant que le secteur des opérateurs télécoms enregistre depuis le début de ce siècle au sud du Sahara. Ainsi, de moins de 5 % au début des années 2 000, le taux de pénétration du téléphone portable sur le continent peut aujourd’hui être évalué à près de 80 %.
Ce développement exponentiel trouve son origine dans trois phénomènes : La libéralisation du secteur (le nombre d’opérateurs est passé de 60 à 180 en quinze ans), l’appétence pour les nouvelles technologies d’une population très jeune (en Afrique francophone deux tiers des habitants ont moins de 25 ans) et le besoin de désenclaver certaines régions dépourvues parfois d’infrastructures de qualité (60 % des Africains vivent en zones rurales) ont incontestablement créé les conditions idoines.

Par ailleurs, les impacts économiques et sociaux de cette croissance remarquable ne souffrent d’aucune équivoque. En 2018, selon l’association internationale GSMA, le secteur des télécoms représentait 8,6 % du PIB et une valeur ajoutée de près de 150 milliards de dollars pour l’Afrique subsaharienne. Toujours selon cette source, ses contributions s’élevaient pour l’année passée à 15.6 milliards de dollars pour l’augmentation des recettes publiques et à 3,5 millions d’emplois créés pour l’insertion sociale.

Outre ces apports factuels, le mobile accompagne le développement de l’Afrique noire sur deux sujets fondamentaux : l’inclusion financière et la participation au débat démocratique.

Une inclusion financière des populations stimulée
Alors que les taux de bancarisation au sud du Sahara demeurent les plus faibles de la planète (pas plus de 15 % en moyenne), le mobile money des opérateurs connait un succès sans précédent auprès du consommateur. Sa parfaite adaptabilité à l’environnement local, sa souplesse d’utilisation et ses coûts de transactions inférieurs à ceux des établissements traditionnels ont conquis plus de 380 millions de clients subsahariens depuis son lancement en 2007.

Selon une étude réalisée par The International Finance Corporation en mai 2018, l’Afrique noire reste incontestablement en situation de dominance sur cette technologie, avec près de la moitié des utilisateurs et des deux tiers des transactions de la planète.

Ces « portefeuilles électroniques », permettant le paiement et le transfert d’argent à partir d’un mobile, constituent aujourd’hui une alternative plus que crédible aux services bancaires de base, notamment en Côte d’Ivoire où plus de 25 millions d’euros y circulent quotidiennement et au Kenya où plus de 70 % de la population adulte les utilisent de façon régulière.

Que l’on ne s’y trompe pas ! En venant empiéter sur le terrain de prédilection des banques, les opérateurs de téléphonie mobile réduisent la volumétrie des paiements en espèces qui rendent difficiles, faute de traçabilité, l’érosion de la corruption et l’optimisation des recettes fiscales des Etats.

Par ailleurs, grâce à des produits innovants accessibles à partir d’un simple portable, ils favorisent parfois la constitution d’une épargne de précaution et l’octroi de micro-crédits, conditions sine qua non pour l’émergence tant attendue de la classe moyenne (« Mokash » de MTN au Rwanda).

Un accès à la démocratie encouragé
75 % des ménages africains accèdent à Internet à partir de leur téléphone portable. Cette statistique, mise en avant par le cabinet Deloitte, résume bien la réalité de l’environnement digital au sud du Sahara. Selon l’agence numérique Hootsuite, l’Afrique, avec 73 millions de nouveaux abonnés en 2018, enregistre la croissance la plus rapide de la planète en termes de nombre d’internautes.

Cet essor spectaculaire a été rendu possible, notamment, par les investissements colossaux que certains opérateurs du continent n’ont pas hésité à prendre en charge, en particulier afin de promouvoir le haut débit mobile et compenser ainsi le faible déploiement des infrastructures terrestres.

La multiplication par 10 du nombre de ces réseaux haut débit entre 2013 et 2017 permet aujourd’hui à plus de 80 % des pays africains de proposer la technologie 4G. On ne sera donc pas surpris d’apprendre que la fréquentation des médias sociaux croît à un rythme important en Afrique noire (20 millions d’utilisateurs actifs supplémentaires l’année passée). En conséquence, Facebook, You tube, WhatsApp sont de plus en plus perçus en Afrique subsaharienne comme de véritables catalyseurs de mobilisation populaire, favorisant la liberté d’expression et d’information.

Telecel et Ushahidi
Les situations concrètes ne manquent pas. En octobre 2014, selon de nombreux observateurs, l’insurrection populaire au Burkina Faso a coïncidé avec l’âge d’or des réseaux sociaux. Le site Internet « Ushahidi » s’est appuyé sur le concept de « journalisme citoyen et participatif » pour mieux faire face aux violences post-électorales de 2007. On se souviendra également de la très forte pression diplomatique qui s’est abattue en Guinée Conakry sur la junte au pouvoir en 2009, suite à la diffusion sur Internet de photos, prises à partir de simples portables, des massacres commis par une partie de l’armée.

Le succès des opérateurs de téléphonie mobile en Afrique repose principalement sur leur capacité d’adaptation à un environnement totalement différent de ce que l’on peut connaitre en Europe : prédominance du prépayé, importance du réseau de distribution indirect et informel, contrainte lourde en termes d’identification des SIM etc. Telecel Group, leader dans plusieurs pays, comme par exemple la République centrafricaine, pourtant en proie à d’immenses difficultés économiques et sociales depuis de nombreuses années, a su s’adapter au contexte régional et donner la « voie » aux populations locales.

Ces entreprises de télécoms ont déjà pris le leadership dans des domaines où elles n’étaient pas attendues initialement, comme l’inclusion financière des populations. Si la tendance se poursuit, leur adaptabilité et leur sens de l’innovation pourraient à l’avenir renforcer leur rôle de vecteur du développement économique et citoyen subsaharien.

*Christian Kazumba est conseiller en management et organisation aux entreprises implantées en Afrique.

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