Les fichiers FinCEN sont des documents ayant fuité du Financial Crimes Enforcement Network (FinCEN) et qui ont fait l’objet d’une enquête du Consortium international des journalistes d’investigation (Icij). Et cette enquête rendue publique en septembre 2020, révèle que l’argent « blanchi » par les banques mondiales implique  des oligarques dans 22 pays d’Afrique et avoisine plus de 1127 milliards de F CFA.

Dévoilée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), l’enquête « FinCEN Files » qui pointe la légèreté des banques internationales sur les transactions suspectes, secoue actuellement la finance mondiale. D’après l’enquête sur 129 pays sources et/ou destinataires des transactions suffisamment retracées entre 2000 et 2017, 22 pays africains sont concernés, pour des opérations avoisinant les 2 milliards de dollars (soit environ plus de 1127 milliards de F cfa), ordonnées par des hommes et femmes d’affaires ou politiques, souvent sous le couvert de sociétés offshore.

Les banques internationales auraient « blanchi » plus de 1,7 milliard de dollars (environ plus de 958 milliards de F Cfa) en provenance et à destination de 22 pays d’Afrique au travers de 905 transactions entre 2000 et 2017, selon l’enquête « FinCEN Files » dévoilée dimanche 20 septembre par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et menée sur la base des milliers de fichiers secrets obtenus par le site Buzzfeed News. D’après la source, ces documents -qui ont fuité du Réseau de répression des crimes financiers (FinCEN), un bureau du département du Trésor américain- lèvent le voile sur plus de 2 000 milliards de dollars de transactions suspectes effectuées par les géants de la banque en provenance et à destination de plus de 170 pays à travers le monde, entre 1999 et 2017.

La liste africaine pourrait être plus longue et les montants plus élevés

Cependant, uniquement 35 milliards de dollars (plus de 19739 milliards de F CFA) d’opérations dans 129 pays affichant « des détails suffisants sur les banques d’origine et les banques bénéficiaires » ont pu être rapportées avec précision, selon les auteurs de l’enquête. Les 22 pays africains apparaissent dans cette catégorie. C’est dire que la liste africaine pourrait être plus longue et les sommes « blanchies » plus élevées si les 2000 milliards de transactions pouvaient être complètement retracés. Néanmoins, la carte disponible a été « conçue pour illustrer comment l’argent potentiellement sale circule d’un pays à l’autre dans le monde, via des banques basées aux États-Unis », souligne l’ICIJ.

Toujours d’après la source, l’argent blanchi, d’après la même source, proviendrait de détournements de deniers publics, de trafic de drogue, d’extraction illégale d’or, de fraude fiscale et d’autres activités illégales initiées par des hommes et femmes d’affaires ou politiques, souvent sous le couvert de sociétés offshore. D’après l’ICIJ, les banques auraient elles-mêmes transféré ces données à FinCEN dès qu’elles suspectaient le caractère douteux de l’origine des fonds. Cependant ces alertes n’intervenaient qu’une fois les transactions réalisées, parfois des années plus tard, au gré de l’actualité autour de certains oligarques.

L’Ile Maurice ayant comptabilisé les plus grosses transactions suspectes

D’après l’enquête, si l’Afrique du Sud et la Zambie ont été relativement régulières dans la pratique à l’échelle continentale avec respectivement 173 et 159 transactions sur la période, l’île Maurice est le pays africain qui comptabilise les plus grosses transactions suspectes passées par les comptes personnels ou d’entreprises chez des géants de la banque internationale : près 763 millions de dollars ( plus de 430 milliards de F Cfa) reçus et plus de 300 millions de dollars ( plus de 169 milliards de F Cfa)  envoyés sur la période.

Au Nord du Continent, l’Egypte est le seul pays représenté. Près de 470 000 dollars (plus de 260 millions de F CFA) sont entrés dans le pays, tandis que plus de 10 millions de dollars (plus de 5 milliards de F Cfa)  en sont sortis dans le cadre de ces transactions douteuses.

A l’Ouest du continent, le Nigeria (plus de 30 millions de dollars (plus de 16 milliards de F CFA) parti des comptes bancaires locaux) et la Côte d’Ivoire (plus de 6 millions dollars (plus de 3 milliards de F CFA) ont atterri dans des comptes bancaires locaux) ont été les plus actifs dans ces transactions suspectes.

En Afrique centrale, le Congo Brazzaville se distingue avec 74 transactions, pour plus de 4,2 millions de dollars (plus de 2368 milliards de F CFA) sortis du pays.

Isabel Dos Santos, Lamine Diack, parmi les africains identifiés

D’après l’enquête, parmi les personnalités africaines ayant bénéficié du système bancaire légale pour faire passer de l’argent suspect, l’ICIJ a identifié l’AngolaiseIsabel Dos Santos et son époux Sindika Dokolo. Entre 2006 et 2012, le couple aurait fait sortir de l’Angola 28,8 millions de dollars ( plus de 16242 milliards de F CFA), grâce à l’intervention de 22 banques dont Standard Chartered Bank New York et JP MorganChase Bank Plus. Cette dernière aurait alerté FinCEN en 2013. Des révélations qui mettent une nouvelle pression sur ce couple déjà visé par la justice angolaise, portugaise et néerlandaise, suite aux poursuites pour détournement de fonds publics en Angola sous la présidence de José Eduardo Dos Santos.

Toujours d’après l’enquête le Sénégalais Lamine Diack, ex-patron de l’athlétisme mondial récemment condamné en France à quatre ans de prison pour corruption, serait passé par 51banques pour des transactions financières douteuses dépassant les 55 millions de dollars (plus de 31 milliards de F CFA), entre 2007 et 2015. Citigroup l’a signalé aux autorités américaines.

L’homme d’affaires et politique nigérian Atiku Abubakar (vice-président du Nigéria de 1999 à 2007et son épouse Rakaiyatu se seraient offerts les services de quatre banques dont Deutsche Bank et Habib Bank United New York (qui l’ont signalé à FinCEN) pour transférer plus de 24 millions de dollars (13 milliards F CFA) dont plus de 1 million (563 millions de F CFA) aurait servi à l’achat d’un appartement à Dubaï.

Jean Pierre Bemba, ex-vice-président de la République démocratique du Congo (RDC) est également cité. Il aurait transféré plus de 429 000 dollars  (plus de 241 millions de F CFA) entre 2005 et 2015 via Western Union, en provenance et à destination de 15 pays dont la RDC, les Pays-Bas et la Grèce. Il est soupçonné d’avoir utilisé ces fonds pour « corrompre des témoins dans le cadre de son procès pour crimes de guerre ».

Les banques sont-elles  innocentes?

D’après l’enquête, ces révélations secouent actuellement la finance mondiale. Et le groupe allemand Deutsche Bank, qui prévoit une offensive sur l’Afrique, arrive en tête des banques actrices de ces opérations peu catholiques, suivie de JP Morgan Chase. D’autres banques telles Standard Chartered Bank, HSBC, Société Générale, … sont également concernées. Depuis lundi, elles dévissent en bourse, le cours de leurs actions ayant chuté pour certaines de plus de 5%.

D’après la source, après plusieurs scandales financiers au cours de ces dernières décennies dont les « Panamas Papers » et récemment les « LuandaLeaks » (qui n’ont toutefois concerné que l’empire financier d’Isabel dos Santos et son époux), les FinCEN Files remettent au goût du jour la problématique de l’éthique au sein des grandes banques internationales, celles-ci étant censées fonctionner sur la base de normes hyper strictes. Et même si l’enquête tend à insister sur l’ingéniosité des auteurs de ces transactions douteuses pour en dissimuler l’origine, observateurs et analystes dans le monde pointent du doigt le laxisme des grandes banques qui peuvent être alertées dès que des clients insistent pour préserver une certaine opacité dans leurs transactions.

Toujours d’après l’enquête, jusqu’ici, ni les personnalités africaines indexées, ni les Etats n’ont réagi. Mais ce nouveau scandale financier rouvre également le débat autour de la fuite illicite des capitaux et de la corruption en Afrique qui, récemment, fait l’objet de plusieurs initiatives, lesquelles paraitraient cependant insuffisantes face à l’ampleur de ces phénomènes.