Avec 22 millions de consommateurs potentiels de services financiers non encore financiarisés au sein de l’UEMOA, les banques ont la possibilité de rehausser de 5 milliards de dollars leur produit net bancaire (PNB) d’ici 2025 au sein de cette zone qui regroupe huit économies francophones dont certaines figurent parmi les plus fortes du Continent. Leur défi : rivaliser avec les opérateurs télécoms dont la capacité d’innovation peut être exponentielle.

C’est connu ; l’avènement de l’e-money a complètement chamboulé les habitudes de consommation des services financiers en Afrique, le Continent étant d’ailleurs précurseur dans ce domaine à travers le monde. Tiré par les opérateurs télécoms, le train de cette métamorphose rattrapé un peu tardivement par les banques les a contraintes à revoir leurs stratégies. Au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) qui couvre huit pays (Côte d’Ivoire, Sénégal, Bénin, Burkina Faso, Togo, Mali, Guinée-Bissau et Niger), Nouvelles Donnes – un cabinet de conseil parisien spécialisé sur la performance des organisations distributives, en particulier les services financiers – identifie « un gâteau immense » à portée des banques si elles arrivent à rivaliser avec la vitesse d’innovation des opérateurs télécoms.

Deux fois plus de richesse produite en cinq ans
Alors que le produit net bancaire (PNB) des banques opérant dans l’espace UEMOA a grimpé de 52 % de 2010 à 2017 pour atteindre près de 3 milliards de dollars, l’étude fraîchement publiée projette qu’en cas de croissance constante, le PNB de ces banques pourrait progresser de 5 milliards d’euros pour atteindre 8 milliards en 2025 et 16 milliards en 2050. Autrement dit, ces établissements pourraient produire presque deux fois plus de richesse en cinq ans et près de cinq fois en trois décennies.

Nouvelles Donnes établit un chiffre d’environ 22 millions de consommateurs potentiels de services financiers qui restent à conquérir au sein de l’UEMOA d’ici 2025, sans tenir compte de la croissance démographique et de la population actuellement bancarisée. Cette hypothèse résultant d’une analyse des données du Global Findex de la Banque mondiale est segmentée en trois catégories. Si au cours des cinq prochaines années 50 % de la population à faible revenu de la zone est financiarisée, cela représente au moins de 15 millions de consommateurs potentiels. Pour les revenus moyens, le potentiel de financiarisation à l’horizon 2025 représente au moins 4 millions de consommateurs, tandis qu’ils sont au moins 3 millions de consommateurs potentiels de services financiers à conquérir dans la catégorie des hauts revenus.

« Ce qu’on essaie de faire passer comme message, c’est que dans les cinq prochaines années, sur la seule zone de l’UEMOA – on ne parle même pas du Continent qui a une croissance exponentielle en termes de bancarisation -, les banques ont très clairement la possibilité de multiplier leurs chiffres », explique à La Tribune Afrique Judith Pena qui a dirigé l’étude.

A supposer que les banques actives dans la zone réussissent à financiariser les 22 millions de Ouest-africains d’ici 2025, elles pourraient, selon le rapport, renchérir leurs actifs bancaires de 40 milliards d’euros – lesquels s’élevaient à 53,3 milliards d’euros en 2017 – pour les porter à 93,3 milliards d’euros d’ici 2025.

Vers une rude concurrence sur le marché des services financiers
Pour ce faire, ces banques devront, préconise le cabinet parisien, « re-déterminer les bonnes offres » en insérant dans leurs stratégies des positions fortes pour la finance à risques. L’autre impératif : « développer des solutions mobiles pour offrir une expérience cliente pertinente et complète sur un modèle tarifaire qui va converger », insiste l’étude.

Et c’est sur ce facteur de l’innovation que presque tout se jouera. Car, les opérateurs télécoms de la zone sont aux aguets. Orange en tête. Avec son service Orange Money lancé en 2008, le géant français des télécoms participe activement au boom de l’e-money au sein de l’UEMOA. Ses services disponibles dans tous les pays de la zone proposent les transferts d’argent, les paiements en ligne, les paiements de factures, taxes et impôts. Le groupe prépare déjà un lot de services novateurs dont une offre aux professionnels, entreprises et administrations, mais aussi l’épargne et le crédit sur lequel il serait précurseur, car seules les banques proposent ce type de service jusqu’à lors.

Les opérateurs locaux comme le sénégalais Wari, spécialiste des transferts d’argent, s’illustrent également sur le secteur depuis une dizaine d’années. A côté, les fintech présentent un fort potentiel, grâce notamment à la politique de licences pour établissement de monnaie électronique de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). La française Tagpay, en l’occurrence, fait son bout de chemin dans la zone grâce à ce dispositif. C’est dire le challenge pour les banques. Jusqu’ici, on observe récemment le développement de partenariats entre opérateurs télécoms et banques, comme celui d’Orabank et Moov ou Ecobank et MTN, mais au vu des projets des Telcos, ceux-ci pourraient davantage prendre leur indépendance avec le temps.

« La concurrence va certainement aller en se développant parce que les opérateurs économiques commencent à demander eux-mêmes leurs licences d’opérateurs de monnaie électronique. Dès lors qu’ils l’obtiennent, ils se comporteront de plus en plus comme des banques électroniques », commente Etienne Bafai, expert financier ouest-africain, interrogé par La Tribune Afrique.

Opportunités manquées pour les banques françaises en pleine montée des panafricaines ?
Sur les marchés de l’UEMOA, selon le rapport, neuf groupes bancaires accaparent 71% des actifs et 77 % des résultats du secteur : les panafricains Ecobank, Oragroup, l’ivoirien Nsia Banque ; la burkinabè Coris Bank ; les marocaines Attijariwafa Bank, BMCE Bank of Africa et Groupe Banque Populaire ; ainsi que les françaises Société Générale et BNP Paribas qui se retire d’ailleurs de la banque commerciale au Mali et au Burkina Faso, pour ne citer que les pays de l’UEMOA.

« On constate que les acteurs français, à l’exception de la Société Générale, se désengagent beaucoup de l’Afrique. A tort ou à raison ? C’est une autre problématique. Dans un contexte de taux bas, les banques françaises vont mal, comment peuvent-elles laisser tomber le dernier terrain de croissance qui leur permettraient de mieux gérer toutes ces problématiques financières en Europe ? », s’interroge Judith Pena.

Indépendamment de ces banques qui retirent le pied des marchés de l’UEMOA, d’autres prennent bien le pool de la nouvelle dynamique des services financiers. Outre les partenariats tissés par les banques panafricaines avec les Telcos, un groupe comme Société Générale se profile déjà en pionnier avec son porte-monnaie électronique, ses services de dépôts et transferts, de paiements commerciaux et de factures pour les entreprises. Le groupe dirigé par Frédéric Oudéa prépare dans la région de nouveaux services d’avance sur salaires, de crédit, d’épargne et de transferts internationaux.

« Les opérateurs de téléphonie, estime Etienne Bafai, vont prendre de plus en plus d’espace et engrangeront à coup sûr des parts de marché sur les banques si elles ne renforcent pas leurs activités de monnaie électronique. C’est le cheval de bataille des banques en ce moment. Ce qui est intéressant, c’est que plusieurs d’entre elles le comprennent ». Néanmoins le challenge pour les banques est d’autant plus important que les taux de bancarisation de la zone restent faibles et comme le précise l’étude, l’avancée de l’e-money ne favorise pas pour autant la bancarisation des populations. Les banques devront accélérer la cadence d’innovation si elles veulent suivre l’évolution des marchés de services financiers en au sein de l’UMEOA.
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