L’économie mondiale a connu l’an dernier sa croissance la plus faible depuis la récession issue de la crise de 2008-2009. Avec 2,9 % de progression en moyenne, elle n’est plus capable d’absorber un choc du type coronavirus en Chine si la situation continue à se détériorer, estime Stephen Roach. Un décrochage est donc possible, ; ce qui rend perplexe sur l’optimisme actuel des marchés
Grâce aux données désormais disponibles sur une année complète, nous commençons à prendre conscience du danger auquel l’économie mondiale a échappé de justesse en 2019. D’après les toutes dernières estimations du Fonds monétaire international, le PIB mondial a augmenté de seulement 2,9 % l’an passé – soit sa plus mauvaise performance depuis la nette récession observée au plus fort de la crise financière mondiale de 2009 et loin du rythme de 3,8 % de la reprise d’après-crise sur la période 2010-2018.
Seuil de récession
En surface, une croissance mondiale de 2,9 % n’apparaît pas problématique. Quarante années de recul nous prouvent cependant le contraire. Depuis 1980, la croissance tendancielle du PIB mondial atteint en moyenne 3,5 %. Dans n’importe quelle économie, comme au niveau planétaire, la clé pour évaluer les implications de la croissance réside dans les éloignements observés par rapport à cette tendance – dans l’esprit de ce que l’on appelle l’écart de production. La baisse de l’an dernier (0,6 point de pourcentage) par rapport à la tendance a très inconfortablement rapproché la croissance du seuil mondial de récession largement admis, à savoir environ 2,5 %.
Si les économies dans leur individualité se contractent naturellement en période de franche récession, c’est rarement le cas pour l’économie mondiale dans son ensemble. Grâce aux travaux approfondis du FMI sur l’économie planétaire, qui couvrent un large ensemble de 194 pays, nous savons que, lors d’une récession mondiale, environ la moitié des économies de la planète se contracte généralement, tandis que l’autre moitié poursuit son expansion – à un rythme certes modeste. Or, la récession mondiale survenue il y a dix ans a nettement fait exception à cette règle : début 2009, pas moins de trois quarts des économies de la planète étaient en situation de contraction, ce qui a fait pencher la balance du côté d’une rare contraction franche du PIB mondial, premier ralentissement de cette ampleur pour l’économie mondiale depuis les années 1930.
Zone de danger
Pour les analystes du cycle mondial des affaires, une croissance de 2,5 % à 3,5 % est considérée comme une zone de danger. Lorsque la croissance de la production mondiale tombe dans la moitié inférieure de cette fourchette – comme ce fut le cas en 2009 -, les risques de récession mondiale doivent être pris au sérieux. Comme souvent dans les projections officielles ou institutionnelles, le FMI prévoit une légère accélération de la croissance annuelle du PIB mondial en 2020 et 2021, à savoir respectivement 3,3 % et 3,4 %. Mais le Fonds a déjà revu à la baisse ses prévisions à six reprises consécutives. Rien ne garantit donc que ses toutes dernières projections se réaliseront.
Les risques baissiers sont d’autant plus inquiétants qu’une prévision de croissance de 2,9 % pour l’économie mondiale souligne le manque de matelas confortable susceptible d’amortir un choc. Or, les mesures draconiennes actuellement appliquées par la Chine pour contenir le coronavirus mortel de Wuhan doivent nous rappeler que les chocs sont beaucoup plus fréquents que nous semblons le penser. Il y a quelques semaines, intervenait la possibilité d’une guerre totale entre les Etats-Unis et l’Iran. Avant cela, la guerre commerciale sino-américaine se faisait de plus en plus tendue.
Monde vulnérable
Ce qu’il faut retenir, c’est qu’une croissance mondiale inférieure à la tendance, notamment lorsqu’elle chute dans la moitié inférieure de la fourchette des 2,5 % à 3,5 %, est une croissance qui approche de sa vitesse de décrochage. Le monde est par conséquent plus vulnérable à une récession.
En 2019, l’érosion périlleuse de la croissance mondiale
Le même message émane clairement d’un examen des risques dans le cycle mondial des affaires, qui constitue depuis longtemps le principal moteur de la croissance mondiale au sein d’une économie planétaire reliée par ses chaînes logistiques. La toute dernière évaluation du FMI situe la croissance du commerce mondial à seulement 1 % en 2019 – soit sa septième révision d’affilée à la baisse. Par comparaison à une moyenne de 5 % sur la période 2010-2018, ce ralentissement de la croissance des échanges commerciaux mondiaux apparaît d’autant plus alarmant.
Impact du protectionnisme
Il est impossible d’ignorer l’impact des mesures protectionnistes nées du conflit commercial entre les Etats-Unis et la Chine sur ce phénomène. Les deux camps ayant désormais convenu d’une trêve, l’espoir existe de voir s’améliorer le pronostic lié au commerce. L’actualisation de janvier émanant du FMI prévoit du reste un léger rebond avec une croissance moyenne du commerce mondial de 3,3 % pour la période 2020-2021. Mais les droits de douane américains sur les importations en provenance de Chine étant voués à atteindre environ 19 % après même la signature de l’accord – plus de six fois supérieurs aux 3 % d’avant-guerre commerciale – et compte tenu de plusieurs signes inquiétants d’escalade des tensions commerciales entre les Etats-Unis et l’Europe, cette prévision pourrait bien, à l’instar de celles des années précédentes, demeurer un voeu pieux.
L’impact du coronavirus en cinq graphiques
L’économie mondiale approche donc dangereusement de sa vitesse de décrochage. Ce qui soulève de sérieuses questions sur le regard de plus en plus optimiste que portent les marchés financiers sur les perspectives économiques.
Stephen S. Roach, professeur à Yale et ancien président de Morgan Stanley Asie.
Source: Les Echos