Près de trois ans après le lancement, à Abidjan, du troisième compartiment dédié aux Petites et moyennes entreprises (Pme) et aux entreprisses à fort potentiel de croissance, la Brvm s’apprête à passer à une étape supérieure consistant à mettre en service ce segment. Du moins, si l’on s’en tient à la récente sortie du président du Conseil régional de l’épargne publique et des marchés financiers (Crepmf), Mamadou Ndiaye, dans l’émission « Le Point » sur la Rts1/télévision, le 5 août dernier, aujourd’hui, au plan réglementaire, ce compartiment existe et les préparatifs sont très avancés avec la Brvm. Mieux, il confie que deux cohortes de 30 Pme sont déjà identifiées et se préparent pour pouvoir se positionner sur ce 3ème compartiment. Après deux décennies d’existence, notre marché financier entend sonner la rupture et se donner un nouveau souffle afin de mieux jouer son rôle dans la mobilisation de financements.
Jusqu’ici, ce sont uniquement nos Etats et les entreprises majors qui étaient aux manettes de l’animation et des transactions sur cette place boursière à travers les deux compartiments traditionnels et classiques à savoir les obligations et les actions. Instituer un compartiment exclusivement dédié aux Pme est une avancée notoire pour le marché régional en ce sens qu’il permettra à ces entreprises de petites tailles d’accéder à des capitaux à moyen et long termes avec des coûts de crédits moins chers. Le moment était venu pour la Brvm de faire un clin d’œil aux Pme qui constituent la locomotive de la plupart de nos économies, aussi bien en termes de création d’emplois que de valeurs ajoutées. Même si les autorités sont parvenues à bâtir un marché régional robuste, un des symboles réussis de l’intégration communautaire, le segment des Pme n’a cependant pas tiré profit de cette opportunité.
La Brvm peut certes se targuer d’avoir réussi à réaliser des performances qui lui prévalent une des bourses de références en Afrique en termes de capitalisation, de nombre de sociétés cotées, de valeurs de transaction, mais permettre aux petites entreprises de pénétrer cet univers si hermétique et exigeant était toujours un défi. C’est pourquoi l’opérationnalisation de ce compartiment serait plus qu’une nécessité voire un impératif, surtout en ce contexte où la crise sanitaire a mis à terre une bonne partie des fondamentaux de nos économies et rendu les conditions d’accès aux financements plus coercitives. Face à un système bancaire devenu de plus en plus exigeant, du fait de l’imposition du nouveau dispositif prudentiel né des réformes de Bâle 2 et Bâle 3, le recours au marché financier à travers ce compartiment semble une alternative. Cette initiative constitue l’un des chantiers phares d’une batterie de réformes enclenchée depuis 2017 devant permettre à l’Uemoa de se doter d’un marché plus innovant, créatif avec des produits adaptés aux besoins de ses Etats, des entreprises cotées, mais aussi aux attentes des investisseurs.
Depuis le lancement de ce compartiment, le 19 décembre 2017, dans la capitale ivoirienne, une douzaine de Pme étaient pressenties pour intégrer cette tranche. Les prochains jours nous édifieront certainement sur la nationalité de ces entreprises, leurs profils, leurs propriétaires et domaines d’expertise. Cependant, ceux qui pensent que ce compartiment sera un boulevard pour accéder aux capitaux des investisseurs peuvent vite déchanter. Les marchés financiers, voilà un secteur où la transparence, la gouvernance, la communication financière constituent les valeurs fondamentales qui font d’autorité. Des qualités qui ne font pas florès dans beaucoup de nos Pme, voire de grandes entreprises. Dans des pays comme le Sénégal où l’informel semble être la règle dans l’univers des Pme, vouloir les convaincre à aller sur le marché financier régional (cotation ou appel public à l’épargne) relèverait d’un travail de titan.
La présence du nombre d’entreprises de droit sénégalais côtées à la Brvm en est une illustration. Sur les 46 sociétés présentes à la place d’Abidjan, seules trois viennent du Sénégal. Il s’agit du groupe Sonatel, Total/Sénégal et Boa. Pourquoi cette absence de rush des chefs d’entreprises sénégalais ? Méfiance ou ignorance ? Une chose est claire, n’est pas pensionnaire à la Brvm qui veut. D’où la contribution attendue des autorités de ce marché en termes d’encadrement pour mettre en orbite ce compartiment dédié aux Pme qui exige transparence, disponibilité des informations financières périodiques et satisfactions aux obligations réglementaires. Les Pme qui ambitionnent d’intégrer ce segment et gagner la confiance des investisseurs seront contraintes de réinventer leur mode de gouvernance et instituer une culture de transparence sur la production de leurs états financiers. Sur les 11 000 milliards que le marché a permis de mobiliser depuis sa création, les 70% ont été levés par les Etats de l’Uemoa, d’après le président du Crepmf. L’accès au compartiment de la Brvm exige, en partie, un bon comportement en matière de transparence, de gestion financière et de gouvernance.
Par Abdou DIAW, Journaliste économique