Le prochain sommet Europe-Afrique se profile à l’horizon. Dans le cadre de sa préparation, un acte inédit a attiré  notre attention.  Le Président du Conseil européen, Charles Michel, qui reçoit  le 19 décembre à Bruxelles les Présidents Félix Tshisekedi (Président en exercice de l’Union Africaine à cette date), le Sénégalais Macky Sall (son successeur désigné pour 2022)  et le Rwandais Paul Kagamé. Cette rencontre était inédite parce qu’elle a donné l’impression d’une convocation, aussi parce que la symbolique protocolaire n’a pas été respectée.  Tout au plus,  Monsieur Michel aurait pu limiter ses échanges  avec son homologue,  le Président de la Commission de l’Union  Africaine. Enfin inédite vu le profil des personnalités africaines invitées dont les ancrages dans le processus de décision  de l’Union Africaine laissent craindre des possibilités de lobbying opaque. Le nouveau Président en exercice de l’Union Africaine  devrait être très attentif à cette question.

Dans le fond, un  constat  s’impose : le partenariat Afrique-Europe n’a pas démontré son efficacité. La conjoncture actuelle le prouve : difficultés économiques de plus en plus accrues, défiance exacerbée à l’égard d’un pays comme la France, vague d’émigration de jeunes désespérés vers une Europe encore convalescente en termes de croissance et  d’équilibres macro-économiques.

Les deux continents liés par l’histoire et  la géographie ont raté leur  marche commune. La coopération n’a pas réussi à éviter à l’Afrique des contre-performances qui se résument en quelques chiffres : 2% du commerce international, 1,1% de la production manufacturière mondiale, 13% des échanges commerciaux intra-africains, 34% de taux de  pauvreté selon la CNUCED. C’est paradoxal pour un continent qui recèle un gros potentiel de terres arables et d’énergie renouvelables, 10% des réserves mondiales de pétrole, 40% des réserves mondiales d’or, 80% du chrome, 90% du groupe des métaux du platine et 30% des ressources minérales du monde. L’une des occasions manquées semble liée à l’incapacité du vieux continent à développer une prospective intelligente consistant à prendre l’Afrique comme un partenaire stratégique respectable avec qui développer des complémentarités. L’Europe a commis une erreur historique en refusant toute idée de plan Marshall après les indépendances, à l’inverse des Américains qui ont été plus inspirés.

Il est fortement espéré que le prochain sommet enclenchera une rupture salvatrice dans l’état d’esprit et les méthodes du partenariat. Plus que les déclarations diplomatiques préétablies, il s’agira de s’attaquer aux vrais problèmes de la coopération et de trouver un nouveau vocabulaire, de  nouveaux concepts  et des orientations novatrices dans la relation. Un  diagnostic du bilan permet de mettre en évidence les constats ci-après.

Premièrement, l’Aide publique au Développement (APD) que nous souhaitons désormais voir remplacer par le concept de Placements Financiers Calculés (PFC) n’a pas été une solution au développement de l’Afrique, malgré les 161  milliards de dollars annoncés par l’OCDE, dont la moitié comptabilisée au profit de notre Continent ; une aide ciblée suivant les priorités européennes, inefficace, peu porteuse de développement et dont une bonne partie est dévoyée et recyclée à l’extérieur (plus de 50 milliards de dollars annuellement selon la Commission Economique pour l’Afrique). Même les stratégies de financement (plus de 32 milliards d’investissement européens), malgré leur caractère parfois concessionnel, présentent de nombreux inconvénients liés à la non-réalisation des objectifs de financement ; ces difficultés que le continent européen motive par d’insuffisantes capacités d’absorption des économies locales, s’expliquent en général par la faiblesse des taux de décaissement, liée à l’incorporation de rigoureuses conditions préalables au premier décaissement dans les contrats de prêt.

Deuxièmement, les stratégies de coopération ont laissé en rade des domaines importants comme de solides alliances industrielles de complémentarité assorties de transferts massifs de technologie. Résultat : de faibles capacités de transformation des matières premières locales, peu de valeur ajoutée dans l’exportation des produits tropicaux, chômage endémique, émigration. Pourtant, une synergie réfléchie gagnant-gagnant est bien possible, l’Afrique recélant des matières premières abondantes, un dividende démographique,  une main-d’œuvre bon marché, une connaissance réelle du terrain, un potentiel foncier considérable  et de véritables relais de croissance. L’Europe de son côté, prenant avantage sur la technologie, ses capacités d’organisation et les financements. Un tel partenariat aurait été une excellente idée pour les chômeurs africains et les consommateurs occidentaux, à condition toutefois que la problématique des normes européennes à l’importation, véritables barrières au commerce, soit résolue.

Troisièmement, les difficultés notées dans la finalisation d’Accords de partenariat économiques (APE) déséquilibrés, malgré les pressions européennes, reflètent l’avènement d’un nouvel état d’esprit du côté africain. L’Europe doit se rendre compte de cette nouvelle donne irréversible. Son partenaire du 21ème siècle représente une Afrique décomplexée ; il suffit d’observer la résurgence d’une Société civile aux aguets, les récentes prises de position engagées des intellectuels africains sur le franc CFA mais aussi des nouvelles Autorités du Mali sur les rapports franco-africains, pour s’en convaincre-. L’Europe doit se rendre compte qu’elle a un partenaire africain de plus en plus «courtisé», instruit et conscient de ses responsabilités, qui demande plus de justice, d’équité et de respect dans la mise en œuvre de la relation.

Une équation française à résoudre

Quatrièmement,  l’Europe tôt ou tard aura à vider une équation de plus en plus gênante dans ses relations avec l’Afrique : le cas français et la défiance de plus en plus grande dont les comportements de ce pays,  très souvent décalés par rapport aux réalités du moment,  font naître dans la jeunesse africaine.  Force est de constater que le modèle économique que cherche à perpétuer cette ancienne puissance coloniale, au-delà de ses agissements diplomatiques n’a pas réussi à arrimer  ses anciennes colonies, qui continuent d’occuper la queue du classement dans l’Indice de Développement Humain du PNUD,  dans la prospérité.

Cinquièmement, l’Union Européenne a fait preuve jusqu’ici d’une passivité peu comprise par l’opinion  publique africaine dans les questions relatives au déficit de gouvernance  (exemple : 3ème mandat, absence d’alternance politique et corruption des élites).

Dés actes symboliques forts à poser pour déclencher la confiance

Il faudrait ramener la confiance en trouvant des solutions viables aux contentieux en cours : non restitution des avoirs de pays africains gelés par l’Europe, des biens culturels confisqués et des fortunes mal acquises par des dirigeants africains condamnés en Europe.

Ce Continent doit aussi changer son regard sur l’Afrique en considérant cette dernière comme un véritable partenaire et cela passe par des actes symboliques forts comme l’introduction dans le système éducatif européen d’une langue locale couramment parlée en Afrique, comme le Swahili,   l’arrêt des différentes formes de harcèlement culturel au nombre desquels  la promotion de valeurs aux antipodes du vécu religieux de l’Afrique comme l’homosexualité et cette tendance à toujours présenter à l’opinion publique européenne le Continent comme une terre de  misère en occultant exprès ses success stories.

Magaye GAYE

Economiste International

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 Titulaire d’un DESS en gestion de projets de l’Université de Rennes 1 en France, Magaye Gaye a exercé pendant une quinzaine d’années dans les organisations sous régionales africaines de financement du développement (BOAD et FAGACE) à des niveaux stratégiques élevés. Le cadre sénégalais, auteur de l’essai, intitulé « Afrique, abandonner les solutions occidentales et repenser le développement autrement» est auteur dans de nombreux médias internationaux. Il enseigne à l’Institut Supérieur de Gestion de Paris (ISG).