Les 17 et 18 janvier, le Togo accueillait un sommet consacré à la lutte contre le trafic de faux médicaments en Afrique. A la veille de la mise en œuvre de la zone de libre-échange africaine (Zleca), entre opacité des circuits d’approvisionnement et réglementation embryonnaire, les défis pour enrayer le marché des médicaments contrefaits restent considérables.
« Si la police t’attrape, elle va saisir tous tes médicaments ! C’est pour cela qu’il n’y a plus de stand par ici […] Il faut chercher les marchandes qui traversent les allées à pied pour en trouver », constate Karim, un jeune vendeur d’artisanat installé sur le grand marché de Lomé.
La raréfaction des vendeuses de faux comme de vrais médicaments est une conséquence directe des dernières opérations «coup de poing» conduites par le gouvernement togolais pour lutter contre le trafic de produits pharmaceutiques contrefaits, qui générerait 200 milliards de dollars au niveau mondial, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
« La révision du code pénal depuis 2015 a instauré des peines allant de 5 ans à 20 ans d’emprisonnement, assorties d’amendes de 5 millions à 50 millions de Fcfa […] L’an dernier, un mouvement s’était érigé en syndicat de vendeurs ambulants de médicaments. Ils ont manifesté dans les rues de Lomé. Une fois identifiés, ils ont été condamnés pour exercice illégal de la profession de pharmacien […] Selon moi, le Togo dispose de l’un des codes les plus avancés en matière de lutte contre les faux médicaments en Afrique », estime Innocent Koundé Kpeto, le président de l’Ordre des pharmaciens du Togo.
A ce jour, la valeur du marché illégal des médicaments non conformes aux normes et falsifiés, représenterait jusqu’à 60% des produits sur le continent et provoquerait chaque année, la mort de plus de 120.000 enfants de moins de 5 ans, selon l’OMS. C’est dans ce contexte que Faure Gnassingbé, le président du Togo a accueilli un Sommet de chefs d’Etat à Lomé, les 17 et 18 janvier pour coordonner des actions de lutte contre ce trafic particulièrement rémunérateur.
Un trafic plus lucratif que les stupéfiants
« Il n’existe pas d’incrimination pénale spécifique et lorsque c’est le cas, les peines sont dérisoires (…) En matière de médicaments contrefaits, sur 1 000 dollars investis, le rendement est de 500 000 dollars, contre 20 000 dollars pour les stupéfiants, qui sont du reste, fortement pénalisés. Au niveau du risque et des profits, il n’y a pas photo ! », constate Jean-Louis Bruguière, ancien juge anti-terroriste français, aujourd’hui reconverti en consultant international et membre de la Fondation Brazzaville.
L’organisation indépendante présidée par Jean-Yves Ollivier coordonne l’Initiative de Lomé (une opération inter-étatique de criminalisation du trafic de faux médicaments). Son comité consultatif international réunit de nombreuses personnalités à l’instar de Joyce Banda, ancienne présidente du Malawi, Olusegun Obasanjo, ancien président du Nigéria ou encore Cécilia Attias, ancienne Première Dame de France.
S’agissant des ramifications entre terrorisme et trafic de médicaments contrefaits, « au Sahel, nous avons des informations assez précises, mais il n’est pas possible de les divulguer en l’état, car elles sont encore classifiées », nous confie Jean-Louis Bruguière, tenu au secret. « Les bénéfices sont supérieurs à ceux du trafic de drogue », a souligné le président Faure Gnassingbé, lors du Sommet de Lomé qui a abouti à la signature d’une déclaration signée par les présidences du Togo, du Sénégal, d’Ouganda, du Niger, du Ghana et du Congo. Ce texte devrait être suivi d’un accord-cadre contraignant d’ici la fin de l’année, pour instaurer une réglementation relative à la criminalisation des faux médicaments sur le continent.
« L’Appel de Cotonou » à l’Initiative de Lomé
En 2009, la fondation Chirac, à travers « L’Appel de Cotonou », posait déjà les bases d’une mobilisation africaine contre le trafic de médicaments. « C’était une étape nécessaire, car pour la première fois, on parlait de ce problème au niveau africain. Toutefois, l’Initiative de Lomé n’est pas seulement là pour dénoncer, mais pour agir et elle prendra des initiatives », précise Jean-Yves Ollivier. La Convention internationale lancée au Bénin avait été ratifiée par une trentaine de pays, sous l’impulsion de l’ancien président Chirac, « vent debout » contre le trafic de faux médicaments sur le continent.
De l’autre côté de la frontière, le Bénin mène également une politique proactive en la matière depuis près de 10 ans. Le président Talon a accompagné le mouvement né sous le mandat de son prédécesseur Thomas Yayi Boni, en renforçant la législation nationale.
Entre les condamnations retentissantes des responsables de compagnies pharmaceutiques à des peines de prison, l’interdiction d’exercice notifiée au laboratoire New Cesamex, la suspension du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens, l’arrestation du député Mohamed Atao Hinnouho condamné à une peine de prison assortie d’une amende de 5 milliards de Fcfa et la fermeture du fameux « marché du médicament » de Gbogbanou, le pays longtemps considéré comme l’une des principales plaques tournantes de ce trafic en Afrique, contrôle et sanctionne.
« Quand j’achète un médicament contre le mal de tête, cela me coûte 150 ou 200 Fcfa dans la rue, contre 500 à la pharmacie. Aujourd’hui, je le fais en cachette. Pour trouver les médicaments, il faut qu’on te connaisse, sinon les gens se méfient et ne te vendent rien », explique Kodjo, un chauffeur privé de 43 ans qui circule dans une jeep rutilante de Lomé à Cotonou, où c’est le même constat. En effet, si l’on trouve encore des médicaments sur les étals des marchés, souvent mélangés aux produits cosmétiques, les vendeurs à la sauvette craignent désormais les forces de police.
Harmoniser les textes réglementaires
Entre législation et renforcement des capacités des services douaniers et des organes de répression, le trafic illicite de faux médicaments requiert une réponse coordonnée au niveau continental, mais également international. En effet, selon l’Institut international de recherche anti-contrefaçon, la Chine et l’Inde, mais aussi le Nigéria dans une moindre mesure, seraient les principaux fournisseurs de faux médicaments sur le continent.
« Il sera difficile à travers la seule Initiative de Lomé de remonter ces filières […] L’idée est d’avoir une mobilisation suffisamment importante pour que l’Union africaine s’empare de la question. A partir de là, nous pourrons passer au niveau des Nations unies », estime Jean-Louis Bruguière.
Actuellement, plusieurs initiatives apparaissent aux niveaux domestique et systémique. En juillet 2018, l’Organisation mondiale des douanes et l’Institut de recherche contre le médicament contrefait (IRACM) ont ainsi mené une vaste opération nommée « Vice grip 2 » dans 16 ports africains et qui s’est soldée par une saisie record de 82,4 millions de doses de médicaments contrefaits – dont 82% venaient de Chine – pour un montant estimé à près de 40 millions de dollars. « Nous sommes conscients de l’importance de la coopération transfrontalière entre les Etats, et la mise en place de la Zleca posera de nouveaux défis. Nous voulons anticiper afin que demain, celui qui commettra un crime à Lomé ne puisse pas trouver refuge au Ghana », explique Jean-Yves Ollivier, bien conscient de la nécessaire mise en place d’une coopération transnationale.
A quand une opérationnalisation de l’Agence africaine du médicament ?
Pour avancer une réponse commune au défi de la contrefaçon pharmaceutique, il faudra non seulement aux Etats de produire localement, mais aussi adhérer aux initiatives préexistantes, comme l’Agence africaine du médicament.
Le continent aux frontières poreuses subit encore des ruptures de stock régulières, qui conduisent les plus démunis à s’orienter vers un marché informel accessible auprès des marchands de rue, à des prix défiant toute concurrence. « Nous avons l’impression que les firmes pharmaceutiques ne s’intéressent plus beaucoup à nous. Elles sont aujourd’hui sur des créneaux de médicaments high-tech et biotech auxquels nos pays n’ont pas encore accès. Il nous faut travailler sur l’accessibilité concernant les médicaments basiques qui ne sont même plus dans les priorités des grands laboratoires. Nous rencontrons beaucoup de ruptures de stocks et de difficultés d’approvisionnement […] Nous devons travailler sur la fabrication locale de médicaments », explique le président de l’Ordre des pharmaciens du Togo, qui constate par ailleurs une évolution sensible au niveau continental, grâce au développement de la sécurité sociale et à l’arrivée de nouveaux acteurs.
« Les parts de marché des nouveaux arrivants comme le Maroc [signataire du traité de l’Agence africaine du médicament, ndlr] ont beaucoup progressé. Ils doivent maintenant s’impliquer dans la sécurité, notamment via l’Agence africaine du médicament », précise t-il.
Alors que l’Afrique importe près de 90 % de ses produits pharmaceutiques, le continent attend l’opérationnalisation de cette nouvelle agence validée par 10 pays – qui ne deviendra effective qu’après sa ratification par 15 pays.
« L’Union africaine a établi une agence africaine du médicament dont les objectifs sont très similaires à ceux de l’Initiative de Lomé. Nous voulons nous assurer que ces deux initiatives travaillent ensemble. Nous tiendrons une réunion du comité régional en août prochain à Lomé, où tous les ministères de la Santé d’Afrique subsaharienne seront réunis. Ce sera une belle occasion de promouvoir cet accord », déclare Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS, qui peut se réjouir de l’annonce du président Macky Sall lors du sommet de Lomé, indiquant que la signature du Sénégal pour rejoindre l’Agence africaine du médicament n’était plus « qu’une question de jours ».
Source: Latribune