Pour une fois notre Continent gère mieux que les autres pays développés une préoccupation d’ordre mondial.
Je viens de prendre connaissance de la note confidentielle du Centre Français d’Analyse, de Prévision et de Stratégie intitulée « Note du CAPS – « L’effet pangolin » : la tempête qui vient en Afrique ? »
Cette note prévoit en substance que l’onde de choc à venir du COVID-19 en Afrique pourrait être le coup de trop porté aux appareils d’Etat. Elle va jusqu’à envisager le scénario d’un nombre trop élevé de décès, des phénomènes de paniques urbaines liées à la question du ravitaillement des quartiers en biens de première nécessité et le détournement de l’aide sanitaire par des dirigeants.
Ce document a eu l’imprudence d’aller jusqu’à proposer aux autorités françaises, face à ce qu’il appelle la faillite des dirigeants politiques actuels, l’identification d’autres interlocuteurs comme les autorités religieuses, les diasporas, les artistes populaires et les entrepreneurs.
Cette note me paraît inopportune et peu convaincante pour plusieurs raisons.
Premièrement les affirmations portées sur des dirigeants discrédités sont légères lorsqu’on se fie à la manière dont la plupart de ces leaders ont accédé démocratiquement au pouvoir. Pour la seule zone de l’UEMOA, les Chefs d’Etats du Bénin, du Burkina, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée Bissau, du Mali du Niger et du Sénégal (soit sept pays sur huit à l’exception du Togo) ont été élus sur la base d’élections démocratiques reconnues par la Communauté internationale. Dès lors, considérer que ces dirigeants sont discrédités relève d’une irresponsabilité inouïe et d’un manque de respect majeur par rapport à la volonté populaire d’une part et à des systèmes démocratiques qui ont fait beaucoup de progrès d’autre part. S’y ajoute qu’en ce qui concerne l’Afrique Centrale, un dirigeant comme le Président Idriss Déby du Tchad a affirmé sans détour que son maintien à la tête de l’Etat tchadien, en dépit des dispositions constitutionnelles qui ne l’y autorisaient pas, a été possible grâce au soutien des Autorités françaises (paroles prononcées lors d’un entretien avec RFI, TV5 Monde et le Monde). Dixit Idriss Deby : “C’est la France qui m’a obligé à modifier la constitution pour rester au pouvoir et aujourd’hui c’est-elle qui ose me critiquer !”
Ces recommandations sont irresponsables parce que, à mon avis, elles sont de nature à affaiblir l’autorité des Etats concernés et les stratégies de lutte contre le COVID-19 en vigueur. Elles sont graves car elles appellent en filigrane, à mots voilés, à l’insurrection.
Deuxièmement en évoquant une hypothèse d’un nombre trop élevé de décès, cette note semble avancer l’idée que la pandémie avancera dans les pays africains de manière identique à la trajectoire de morbidité constatée en France sans prendre les précautions scientifiques nécessaires : à savoir relativiser les conclusions en prenant en considération des facteurs liés à la zone géographique, au climat, au génome et système immunitaire de populations essentiellement jeunes, au caractère non maitrisable et multiforme du virus et à divers autres facteurs psychosociologiques.
Incontestablement à ce jour, l’Afrique a mieux géré la maladie que le monde occidental pris dans sa globalité en général, l’Europe et la France en particulier.
La pandémie a en effet fait, depuis son apparition fin décembre en Chine, plus de 60 000 morts dans le monde, dont plus de 44 000 en Europe, selon un bilan établi par l’Agence France-Presse (AFP). Les cas diagnostiqués positifs dépassent officiellement les 1,1 million sur les cinq continents dont en Europe 55,5%, en Amérique du Nord 27,3% et en Asie 10,5%. Le continent Africain est moins impacté que le reste du monde avec seulement 7 123 cas confirmés au 03 avril 2020 pour 289 décès ; pour une fois notre Continent gère mieux que les autres pays développés une préoccupation d’ordre mondial.
Cette stratégie qui apparemment porte ses fruits doit être poursuivie par l’Afrique qui doit éviter les tentations de divertissement et le mimétisme. Il faut sans cesse imaginer des solutions innovantes de gestion de la pandémie conforme aux réalités socio-économiques africaines, renforcer les actions de sensibilisation tout en évitant de suivre aveuglement l’expérience improductive d’autres pays.
L’Afrique, dans un contexte de situation sanitaire encore sous contrôle, doit éviter de se mettre dans une approche consistant à penser qu’elle suivra la même trajectoire que les pays profondément touchés. A cet effet, des réflexions devraient être menées sur le type de communication à développer, de manière à éviter des situations de psychose préjudiciables à la cohésion sociale et à l’économie. Les solutions de confinement devraient être étudiées avec prudence en tenant compte des succès notés dans les stratégies actuelles de gestion de l’épidémie et en évaluant objectivement et de manière rigoureuse les risques qu’encourent des économies vulnérables. L’Afrique ne doit pas aussi avoir le complexe de recourir à la prière mais aussi à sa médecine traditionnelle, bien entendu avec l’encadrement des Autorités sanitaires ; elle gagnerait en outre à partager son expérience de gestion d’épidémies comme celle de l’EBOLA. Si elles faisaient preuve de plus d’humilité, les Autorités sanitaires françaises, au lieu de faire dans la diversion, auraient dû venir s’inspirer de l’expérience africaine et accepter par exemple l’aide cubaine en métropole comme du reste l‘a fait l’Italie ; Mais hélas, elles préfèrent anticiper encore sur des positionnements géopolitiques et des luttes d’influences post pandémiques. Les polémiques sur les déclarations d’essais de vaccin en Afrique sont venues amplifier une telle dynamique. Du reste pouvait-il en être autrement ?
La situation du pays est catastrophique. Chute de 35% de la production et du même ordre de grandeur pour la consommation des ménages pour la seule dernière semaine du mois de mars 2020 selon l’INSEE. Plus de cinq millions de travailleurs en chômage partiel. Dans une telle situation, la France ne pourrait plus tenir à fortiori chercher de nouveaux interlocuteurs en Afrique. Notre Continent devrait anticiper cette prochaine donne et commencer à restructurer son panel de partenaires.
Troisièmement en ce qui concernent les détournements possibles d’actifs sanitaires que la note prête aux dirigeants en place, ils relèvent d’accusations gratuites et ne semblent pas à priori fondés vu la prise de conscience généralisée, le caractère autonome et transparent des systèmes de coordination de l’aide mis en place par les autorités en place. L’Afrique est encore loin des soustractions frauduleuses de masques de gel et de respirateurs artificiels constatées dans certains pays occidentaux.
De
telles déclarations peuvent saper les élans de solidarité internes notés dans
les Etats.
De toutes les façons, l’Afrique a tellement bien compris la situation actuelle
de précarité de ses partenaires traditionnels qu’elle a décidé de miser d’abord
sur ses propres moyens. Certains pays comme la France, l’Italie,
l’Espagne et les Etats Unis ne se relèveront pas de sitôt de cette épidémie et
certains cherchent a entrainer dans leur chute des pays faiblement touchés.
D’autres autorités comme le Secrétaire Général des Nations Unies tirent la sonnette d’alarme en annonçant sans aucune précaution ou preuve scientifique des millions de mort en Afrique.
L’Afrique doit être vigilante et maintenir son cap actuel car une page importante est entrain de s’ouvrir pour elle.
Magaye GAYE
ECONOMISTE SENEGALAIS