«Inventez le futur et nous serons là pour vous appuyer» avait promis le Président, Jovenel Moïse, qui s’est réjoui du lancement du premier « Tech Hub » national, les 2 et 3 juin derniers à Port-au-Prince. L’incubateur «Alpha Haïti» ambitionne d’accompagner la prochaine génération d’entrepreneurs caribéens pour devenir leaders régionaux en matière de création de startups et sortir le pays de l’obscurité numérique…
C’est au «Ciné Triomphe» de Port-au-Prince, qu’Haïti a lancé en grandes pompes, sa toute première structure virtuelle et physique dédiée à la création de startups, dans le cadre de sa stratégie de valorisation de l’économie numérique.
Inscrit dans le Budget 2015-2016, l’incubateur a été porté par Jean-Jacques Rousseau, Conseiller technique en Innovation, Science et Compétitivité à la présidence d’Haïti. Membres du Gouvernement à l’instar de Jude Alix Patrick Salomon, Ministre de l’Économie, de Joseph Guyler C. Delva, Ministre de la Communication, de Hugue Joseph, Secrétaire général de la Primature mais aussi de personnalités du monde des affaires comme Marteen Boute, PDG de Digicel ou encore du milliardaire nigérian Tony Elumulu, PDG de la Transnational Corporation of Nigeria, de Heirs holding et de la United Bank of Africa (UBA), avaient répondu présents à ce rendez-vous du digital haïtien. L’homme d’affaires nigérian, à la tête d’une Fondation disposée à investir 100 millions de dollars dans l’entrepreunariat en 10 ans, pourrait se laisser séduire par les sirènes digitales d’Haïti…
Jeunes entrepreneurs et étudiants étaient également venus nombreux pour assister à ces deux journées de lancement d’ «Alpha Haïti», à l’occasion desquelles plusieurs panels de discussions autour de l’entrepreneuriat, de l’économie numérique et de l’innovation technologique avaient été organisés, en présence du Chef de l’Etat.
«Promesse tenue» pour le président d’Haïti
Depuis quelques années, Haïti s’est engagé dans la révolution numérique, comme en témoigne la multiplication des rencontres telles que «FinTech Haïti», «Haïti Tech Summit», «Haïti Numérique 2030», «Port-au-Prince Startup Week» ou encore le «Salon numérique»…
«J’avais pris l’engagement de mettre en place un centre incubateur d’innovation technologique (…) – pour – favoriser un environnement propice à la création des jeunes entreprises qui assurent la promotion et mettent en valeur la technologie à des fins commerciales. Aujourd’hui, je me réjouis de pouvoir lancer officiellement l’Incubateur Alpha Haïti» s’est félicité le président, Jovenel Moise.
L’incubateur est hébergé au sein du complexe «Ciné Triomphe», sur la place du Champ de Mars, non loin des plus grandes universités du pays et de l’Ecole supérieure d’infotronique. «Lab» de prototypage rapide, bureaux privés et espaces de coworking, financements consacrés au démarrage d’activité, formations en entrepreneuriat, mentoring, il accueillera également des conférences et des ateliers et proposera un certain nombre d’activités culturelles.
Les entrepreneurs seront sélectionnés suivant trois catégories distinctes. «Alpha Haïti» réunira les Haïtiens recherchant une initiation aux TIC et à l’entrepreunariat, des startupers spécialisés dans les industries créatives, bénéficiant d’une expérience entrepreneuriale préalable mais aussi des entrepreneurs «en devenir», disposant d’une idée « bien articulée » qui seront accompagnés sur une durée de 6 mois. «La formation requiert assiduité et motivation, même si nous sommes prêts à accepter une certaine flexibilité» admet Jean-Jacques Rousseau. Dès le 11 juin, un concours en ligne sera lancé pour sélectionner les premiers bénéficiaires de cet accompagnement.
D’ici 2020, le Tech Hub prévoit d’incuber une centaine d’entrepreneurs par an et de toucher près de 50.000 personnes sur l’ensemble de ces 3 catégories. Pour mesurer l’efficience du projet, un certain nombre d’indicateurs ont été mis en place comme le nombre de sociétés incubées et de création d’emplois, les niveaux d’investissements atteints et la qualité des partenariats engagés.
«Alpha Haïti», levier de développement économique
L’incubateur national a été pensé pour offrir un écosystème favorable aux jeunes entrepreneurs et pour favoriser l’emploi dans un pays touché par un chômage endémique. En 2016, 70% de la population était affectée par le chômage et par le sous-emploi selon les données de la Banque mondiale. Au regard des perspectives qu’offre le secteur numérique en termes d’emploi, on comprend mieux l’enthousiasme du Chef de l’Etat qui classe l’inauguration de ce premier incubateur parmi «les promesses tenues».
Selon une étude réalisée par l’Institut pour le futur et Dell publiée en juillet 2017, les modifications que le passage à l’intelligence numérique cognitive induiront sur le monde du travail seraient telles que 85% des emplois d’ici 2030 n’existeraient pas encore… Que restera t-il alors des métiers peu qualifiés face au développement de l’intelligence artificielle ? En perspective de cette évolution, Haïti a décidé de faire du numérique, une priorité dans sa stratégie de développement…
Le 3 juin, le Chef de l’Etat a annoncé la mise en place d’une politique nationale d’innovation et la création d’un fonds d’innovation dédié au co-investissement afin d’inciter les acteurs privés à soutenir le secteur numérique. A ce jour, il n’existe pas de ministère des TIC ; «Alpha Haïti» est un projet porté par le Ministère de l’Economie et des Finances, financé par la Banque de la République d’Haïti, sous le haut patronage du Premier ministre et de la Présidence de la République.
«Nous réfléchissons à la meilleure réponse institutionnelle à apporter» explique Jean-Jacques Rousseau. «Une Agence nationale du numérique disposant d’un mandat et d’un budget bien définis, pourrait apporter la flexibilité requise par le secteur» poursuit-il.
En finir avec les «exclus du numérique»
Dans cette «logique 4.0», le 8 novembre dernier, Haïti a créé une unité d’e-gouvernance avec le lancement officiel de la Plateforme Gouvernementale Intégrée d’Haïti (PGIH), en s’appuyant sur l’assistance technique et les ressources financières de la Banque Interaméricaine de Développement et sur une donation de logiciels de Microsoft Corporation. Il s’agit d’une première dans l’histoire du géant américain, représentant une aide précieuse pour Haïti, qui accuse un certain retard en matière d’économie numérique.
En effet, selon le Global Digital Snapshot 2017, le nombre d’internautes haïtiens se situe aux alentours de 1,6 millions d’utilisateurs sur une population de 10,92 millions d’habitants, soit un taux de pénétration de 15%. Malgré une évolution de 30% par rapport à l’année précédente, ce pourcentage reste bien inférieur à la moyenne régionale qui atteignait 54% en 2016 d’après les statistiques de la Banque mondiale. Cette situation s’explique en partie par une certaine méfiance ainsi qu’une relative méconnaissance des TIC au sein de la population haïtienne.
Les objectifs de la PGIH sont ambitieux : moderniser l’Etat, «institutionnaliser la transparence», promouvoir la reddition des comptes, rationaliser l’utilisation des TIC dans l’administration publique et surtout, développer le secteur technologique comme domaine d’activité économique. «Alpha Haïti» représente désormais le bras opérationnel de la stratégie entrepreneuriale appliquée au numérique haïtien.
Plus d’un milliard de dollars pour la remise à niveau des télécoms
Jean David Rodney, DG du Conseil National des Télécommunications (CONATEL) avait pointé du doigt «la qualité exécrable des infrastructures des télécommunications», regrettant l’absence d’un cadre normatif qui favoriserait les investissements nécessaires pour combler le déficit numérique d’appropriation générale des télécommunications, à l’occasion de la dernière «Journée mondiale des télécommunications et de la société de l’information». Il avait par ailleurs, rappelé lors du Symposium international de la jeunesse, «ELAN Haïti 2018», qu’ «Haïti – avait – besoin de 1,2 à 1,4 milliard de dollars d’infrastructures pour remettre à niveau les réseaux de communication».
«Alpha Haïti» formalise aujourd’hui la volonté politique de sortir la population de l’obscurité numérique. L’incubateur pourra notamment s’appuyer sur la jeunesse de sa population (67% des Haïtiens sont âgés de moins de 30 ans) et sur son multilinguisme pour accompagner son virage numérique. L’île polyglotte où l’on parle créole, français, anglais et espagnol veut devenir la porte d’entrée du numérique dans les Caraïbes.
L’Afrique n’est pas oubliée : «Il existe un réveil africain en Haïti et nous souhaitons développer les échanges entre les entrepreneurs haïtiens et africains» précise Jean-Jacques Rousseau.
«A moyen terme, d’autres incubateurs pourraient voir le jour, spécialisés dans les secteurs de la santé ou encore de l’agriculture, y compris hors de la capitale» conclut-il.
(Source : https://afrique.latribune.fr)