De la ‘’guerre’’ entre les juges Demba Kandji et Alioune Ndiaye à l’appel interjeté mercredi par les conseils du milliardaire Amadou Ba, suite à l’ordonnance du juge Kandji, l’affaire qui bloque la Sar, est épineuse.

De la ‘’guerre’’ entre les juges Demba Kandji et Alioune Ndiaye, à l’appel interjeté, mercredi, par les conseils du milliardaire Amadou Ba, suite à l’ordonnance du juge Kandji, l’affaire Locafrique, qui bloque la Sar, est épineuse. Certains acteurs s’étonnent du silence de l’Etat dans ce dossier qui pourrait compromettre l’avenir de la raffinerie sénégalaise.

Un dossier abracadabrantesque ! A l’origine, c’était une simple affaire familiale. Un père de famille milliardaire qui décide de convoler en noces avec sa seconde femme. A l’arrivée, l’affaire prend une tournure nationale, avec des risques sérieux de compromettre l’approvisionnement de la très stratégique Société africaine de raffinage (Sar) et la Senelec. Malgré le tollé suscité, l’Etat continue de garder un silence troublant dans ce qui s’apparente, à bien des égards, à un scandale juridico-familial et économique aux multiples rebondissements. Secrétaire général de la CNTS/FC (Confédération nationale des syndicats des travailleurs du Sénégal/Forces du changement), membre du Syndicat national des travailleurs du pétrole et du gaz, Cheikh Diop se désole : ‘’L’Etat doit prendre en main cette situation qui prévaut actuellement au Conseil d’administration de la Sar, avant qu’il ne soit trop tard. Si une décision rapide n’est pas prise, les risques sont énormes. Au-delà des menaces qui peuvent peser sur l’approvisionnement du pays, c’est la noble et légitime ambition de la Sar qui va s’estomper, parce que Locafrique est un actionnaire important de la boite. Les travailleurs du pétrole ne sont pas prêts à l’accepter.’’

Pendant ce temps, la guerre farouche se poursuit entre Amadou Ba et son fils Khadim. Le second est accusé d’avoir usé de faux pour organiser le putsch de son père de la société Locafrique SA. 

Mais, à en croire le fils, c’est leur père lui-même qui leur avait cédé ses parts depuis décembre 2016, au cours d’une réunion tenue à la maison familiale, aux Almadies. ‘’C’est lors d’une réunion tenue à leur domicile aux Almadies qu’il (le père) avait finalement décidé de concrétiser son désir de se retirer devant tous les membres de la famille, à l’exception de Fatou Kiné Ba qui était en France’’, écrivait le journal ‘’Libération’’, lors de l’audition des parties à la Division des investigations criminelles (Dic).

Pour sa part, le père Amadou Ba a toujours nié les faits allégués par ses enfants. Son tort, arguait-il, c’est d’avoir trouvé une coépouse à leur maman. Lors d’une conférence de presse en mai dernier, il disait : ‘’Je ne leur ai jamais rien offert. Ce qui s’est passé, c’est que j’ai pris une femme et ils l’ont mal pris. Je me rappelle qu’il (Khadim) m’a une fois dit : ‘Comme la donne a changé, tu as pris une autre femme. Nous voulons que tu prennes Carrefour (Carrefours automobiles, actionnaire à hauteur de 99 % de Locafrique) et nous laisse Locafrique.’ Je lui ai dit de m’envoyer un courrier par email et il l’a fait. Le lendemain, quand il m’a rappelé, je lui ai clairement dit que je ne suis pas mort pour que vous organisiez mon héritage.’’

Le vieux reconnaissait toutefois lui avoir offert 3 % de Locafrique et que cela n’a jamais été remis en cause. Il explique : ‘’A un moment, on a voulu en faire une banque. Et on a décidé d’augmenter le capital. C’est en ce moment que je lui ai offert 3 %. C’est tout ce qu’il détient dans cette entreprise et c’est toujours valable, parce que moi, je respecte toujours mes engagements.’’

A chaque partie son juge et son extrait du registre du commerce

Dans cette affaire qui a fini de désarçonner plus d’un dans les tribunaux et chez les spécialistes du droit des affaires, on a eu l’impression, par moments, que chaque partie avait son juge. Dans le volet commercial de cette affaire, les décisions se sont suivies, mais se sont rarement rassemblées. Alors que les ordonnances rendues par le tribunal de commerce hors classe de Dakar, sous l’égide du président Alioune Ndiaye, étaient plutôt favorables à Ba père, celles rendues par le premier président de la Cour d’appel, sous Demba Kandji, tranchaient, la plupart, en faveur de Ba fils. Ce qui avait finalement pris les airs d’une guerre des milliardaires par juridiction interposée.

Ainsi, à deux reprises au moins, le tribunal de commerce, qui est une juridiction spécialisée, a pris des décisions remises en cause par le président Kandji.

Ce dernier n’a, en effet, jamais digéré que ses décisions soient remises en cause par un juge de degré inférieur ; quitte à se prononcer parfois par voie de rétractation contre les ordonnances du président du tribunal de commerce.

Dans son ordonnance rendue le 29 avril 2020, le premier président de la Cour d’appel disait : ‘’Recevons l’appel formé par Khadim Ba ; infirmons l’ordonnance sans numéro rendue le 24 avril par le président du tribunal de commerce ; infirmons l’ordonnance n°458 du 17 avril rendue par le tribunal de commerce ; réitérons notre ordonnance en date du 1er avril qui garde son plein et entier effet ; ordonnons à M. l’Administrateur du greffe de rétablir les noms de Khadim Ba…’’

Le retournement de situation en faveur du fils

Demba Kandji se prononçait ainsi, suite à une requête des conseils de Khadim Ba, aux fins de rétraction de l’ordonnance n°458 rendue par son homologue Alioune Ndiaye. Dans cette décision, le président du tribunal de commerce donnait injonction à l’administrateur du greffe chargé du RCCM, de rétablir à son registre les noms et qualités d’Amadou Ba et Cie. Cela faisait suite à l’ordonnance n°191 rendue par Demba Kandji le 1er avril 2020. Laquelle rétractait une autre décision du tribunal de commerce rendue le 10 mars 2020.

Un jeu de ping-pong qui était devenu lassant pour bien des juristes. Certains y voyant plus une affaire d’ego que de droit. D’ailleurs, la coïncidence avec leur limogeage a été interprétée par certains observateurs comme une résultante de cette guérilla judiciaire.

Dans tous les cas, les conséquences ont été fâcheuses dans la tenue du RCCM (registre du commerce et du crédit mobilier). Chacun, muni de sa décision, a aujourd’hui son extrait du RCCM. Et il est difficile de dire qui a raison et qui a tort.

En effet, si monsieur Amadou Ba se prévaut d’une décision d’annulation du protocole de cession des actions rendue en première instance, son fils Khadim Ba peut invoquer plusieurs ordonnances rendues par le premier président de la Cour d’appel Demba Kandji. D’abord, à travers l’arrêt n°146 du 18 avril 2019 de la cour d’appel, et maintes fois réaffirmées à travers les ordonnances numéros 191, 198 et 199 des 1er, 7 et 15 avril 2020. Le motif principal invoqué par la cour d’appel a été le sursis à statuer jusqu’à intervention d’une décision définitive sur l’action publique.

En effet, à l’origine de ce dossier judiciaire, il y a un protocole de cession des actions d’Amadou Ba dans Locafrique aux membres de sa famille (sa première épouse et les enfants issus de cette union). Mais pour les proches de Ba père, ce dernier n’a jamais signé un tel protocole et que sa signature a été falsifiée. Raison pour laquelle le milliardaire avait esté en justice pour faux et usage de faux contre ses enfants et leur mère.

Mais, à en croire le doyen des juges d’instruction, dans son ordonnance de non-lieu rendue avant-hier, cette infraction n’est pas constituée, faute d’élément légal.

Lamotte et Ciré Aly Ba, les nouveaux maitres du jeu

Le 19 mai 2020, Demba Kandji était détaché à la présidence, tandis qu’Alioune Ndiaye devenait président de chambre à la Cour d’appel de Thiès. Ils ont été remplacés respectivement par Ciré Aly Ba et Malick Lamotte. L’une des premières décisions du nouveau premier président dans cette fatidique affaire, a été de rétracter la décision de son prédécesseur Demba Kandji, rendue le 29 avril.

Dans cette ordonnance, le premier président invoquait le non-respect des droits de la défense.

Croyant définitivement tourner la page, le Conseil d’administration avait alors convoqué une réunion. Mais cette dernière a été sabotée par des nervis supposés avoir été mobilisés par monsieur Khadim Ba.  Dans un communiqué, ce dernier se prévalait d’une décision de la cour d’appel rendue le 23 septembre et dégageait toute responsabilité dans les évènements du 24 septembre à la Sar. Pour lui, il faut chercher les responsables parmi ceux qui ont voulu empêcher les représentants légitimes de Locafrique de siéger. Mais selon la Sar et certaines sources proches d’Amadou Ba, la décision susvisée portait plutôt sur la tenue de l’AG du 24 dont Khadim Ba lui-même avait demandé le report. Une demande rejetée par le président du tribunal de commerce dans son ordonnance 484/2020 que nous avons pu parcourir.

ME BABOUCAR CISSE SUR LE NON-LIEU DE KHADIM BA

‘’Cette décision est frappée d’un sursis à exécution, à cause de notre appel’’

Suite à l’ordonnance de non-lieu rendue le 29 septembre pour Khadim Ba, la partie civile n’a pas perdu du temps pour interjeter appel devant la chambre d’accusation.

Selon Maitre Baboucar Cissé, un des conseils d’Amadou Ba, le doyen des juges a juste estimé qu’il n’y a pas d’élément moral pour la constitution de l’infraction et que l’irrégularité de l’acte relève de la compétence du juge civil. ‘’’C’est pourquoi il n’a pas retenu l’infraction de faux contre Khadim Ba. Mais ce qu’il faut retenir, c’est que cette ordonnance n’est pas définitive. D’abord, elle a été frappée d’appel aujourd’hui par monsieur Amadou Ba’’.

Et de marteler : ‘’En matière pénale, les délais de recours et les recours ont un caractère suspensif. Donc, si vous faites appel d’une ordonnance, c’est comme si l’ordonnance n’a jamais existé. L’inculpation tient donc toujours jusqu’à intervention d’une décision définitive.’’

A l’en croire, contrairement à ce que dit le juge d’instruction, l’élément moral est bien là. ‘’Et nous allons le démontrer devant la chambre d’accusation. Il ne faut pas oublier qu’il y a un jugement du tribunal civil qui a déclaré ce protocole nul. Certes, elle est frappée d’appel, mais la décision est déjà là’’.

Au civil, il sera certainement question, entre autres, du respect des formalités requises pour la validité de la cession d’actions. A en croire un spécialiste du droit notarial, en la matière, ce sont les statuts qui gouvernent. Mais, souligne-t-il, ‘’généralement, la cession est libre entre actionnaires de la société. Il faut juste un acte de cession et une acceptation de transfert. Les deux protagonistes signent et on procède à l’enregistrement au niveau des impôts et domaines. Ce n’est pas comme une Sarl (société à responsabilité limitée). Là, les parties sont obligées de passer devant le notaire. Toujours est-il que ce sont les statuts qui gouvernent’’.

Le casse-tête des banquiers

S’il y a des acteurs qui ont hâte de la fin de ce feuilleton, c’est surtout les banquiers de Locafrique qui ne savent plus à quel gérant se fier. Dans ce dossier, les comptes de Locafrique ont même été bloqués, le 17 avril, par le tribunal de commerce. S’y ajoutent, plusieurs extraits du registre du commerce et du crédit mobilier ont été délivrés, au gré des décisions judiciaires.

Un véritable casse-tête qui est loin de connaitre son épilogue. Sachant que Locafrique a, en charge, le préfinancement de la fourniture en hydrocarbures de la Senelec et de la Sar, ils sont nombreux à craindre que cette situation bloque ces entreprises. D’ailleurs, à un moment, le ministre des Finances et du Budget a dû signer des certificats nominatifs d’action pour essayer de débloquer la situation et sauver la Sar et la Senelec d’un blocage.

(Source:www.seneplus.com)