Dès le 21 mars, la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCAEO) dans la zone UEMOA prenait un certain nombre de mesures pour soutenir les entreprises africaines, pendant la crise de la Covid-19. Augmentation des ressources financières, reports d’échéances de crédits et opération de sensibilisation des banques autour du guichet spécial de refinancement de crédits accordés aux PMI et aux PME, sont quelques-unes des initiatives prises par la banque régionale.

« Une première hausse de 340 milliards [40 millions de dollars, ndlr] a été apportée au montant que la Banque centrale accorde chaque semaine aux banques pour le porter à 4 750 milliards de francs CFA », pouvait-on lire dans un communiqué de la BCEAO, daté du 21 mars dernier. Afin de limiter contacts et déplacements des populations, la banque avait annoncé qu’elle mènerait également «des négociations avec les entreprises d’émission de monnaie électronique».

Par ailleurs, 25 milliards de francs CFA devraient être affectés au fonds de bonification de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) qui permettront notamment, « d’augmenter le montant des prêts concessionnels qu’elle accordera aux Etats pour le financement des dépenses urgentes d’investissement et d’équipement dans le cadre de la lutte contre la pandémie », précise le même communiqué.

Des mesures bien accueillies au Sénégal, qui recensait quelque 195 cas confirmés, le 2 avril au soir. « Je demande à nos partenaires bilatéraux et multilatéraux d’accompagner la résilience du continent africain, en annulant sa dette », twittait le chef d’Etat, le 25 mars dernier, comptant sur le soutien massif des bailleurs internationaux, face à une population sénégalaise inquiète et un secteur privé sur le pied de guerre.

Mobilisation de collectifs d’entrepreneurs sénégalais

Pour contenir l’impact de la Covid-19, le Sénégal a débloqué 64 milliards de francs CFA et s’est doté d’un comité de croissance et de veille économique ainsi que d’un plan de contingence de suivi de l’épidémie. Un fonds de riposte et de solidarité (Force-Covid-19) de 1 000 milliards de francs CFA a été créé dans l’urgence par le gouvernement. Quelque 50 milliards de francs CFA seront consacrés à l’aide alimentaire et des mesures spécifiques seront définies pour soutenir certains secteurs-clés comme la restauration, l’hôtellerie ou le transport.

Simultanément, l’appel lancé par le bureau de prospective économique (BPE) a été entendu par les acteurs du secteur privé qui ont mis la main au portefeuille. Près de 1.2 milliard de francs FCA avaient déjà été levés à la fin du mois de mars, pour soutenir le comité national de lutte contre les épidémies. Nombreux sont les contributeurs à s’être mobilisés: du patron de la Sédima au président du Club des Investisseurs en passant par les acteurs internationaux tels que la Sonatel, filiale du groupe Orange, Eiffage ou encore UBA Bank, qui ont levé en quelques jours, plusieurs centaines de millions de francs CFA. Néanmoins, si le secteur privé a réagi rapidement, il appelle les banques commerciales à assouplir les conditions d’octroi des crédits et des lignes de découverts, en particulier pour les PMI-PME, et exhorte l’Etat à réagir vite pour contenir les impacts économiques de l’épidémie.

«Le fonds Force-Covid-19 a été instauré, mais maintenant, nous voulons une communication claire et un calendrier précis des fonds qui seront alloués aux entreprises [..] Nous attendons un soutien particulier pour les entreprises les plus touchées, en finançant leurs besoins en fonds de roulement (BFR) à partir de 15 millions Francs CFA pour les PMI-PME », explique Marième Fall, présidente du Réseau Entreprendre Dakar et CEO du cabinet d’expertise comptable G&G, qui a co-signé une tribune réunissant plusieurs entrepreneurs sénégalais, interpellant le gouvernement sur ses engagements. « Nous demandons des reports d’échéances fiscales de 3 à 6 mois et des allègements fiscaux pour les entreprises […] la situation actuelle doit être définie comme un cas de force majeure, ce qui permettra aux entreprises de recourir à des mécanismes d’exception pour alléger leur trésorerie» poursuit-elle.

Le collectif demande la suspension des procédures fiscales et sociales (notamment les avis à tiers détenteurs et les redressements fiscaux en cours), exige la garantie de la continuité des services de base, la sécurisation des services d’approvisionnement assortie d’un stock de sécurité sur les 6 prochains mois et appelle à renforcer les capacités de production en cycle court. « Dans le meilleur des cas, nous prévoyons 6 mois de situation économique difficile », prévient Marième Fall.

Nous attendons une explication de texte très claire

«Dès le début du mois de mars, nous avons mesuré la gravité de la situation en Chine et ses conséquences sur notre activité. Néanmoins, face à l’ampleur de cette crise inédite, nous sommes davantage dans la réaction que l’anticipation» constate Eugène N’Diaye, le Directeur général de la société La Casamançaise, basée dans la région de Cap Skirring, au sud du Sénégal. A ce jour, l’entreprise représente une centaine d’emplois directs ainsi qu’une centaine d’emplois indirects, au niveau national. Créée en 2016, la société dispose d’une usine qui produit 3 millions de litres d’eau minérale par jour, au sein de laquelle il a fallu prendre des mesures immédiates. « Nous avons distribué masques et gel hydroalcoolique à tous nos collaborateurs, organisé le travail à distance des fonctions supports et mis en place un système de ramassage pour nos salariés afin qu’ils évitent les transports en commun ».

Au-delà des craintes sanitaires, l’entreprise rencontre déjà de sérieuses difficultés. « Nous sommes à près de 600 km de Dakar qui représente notre marché principal […] Nos camions circulent par la Gambie et ce pays a interdit l’entrée sur son territoire à tout ce qui n’était pas alimentaire pendant une semaine! Concrètement, cela s’est traduit par un surcoût, mais aussi par l’augmentation des délais de livraison et par des risques accrus de panne ou d’accident. En parallèle, nous rencontrons des problèmes de distribution en raison du couvre-feu, car les manutentionnaires arrêtent de travailler entre 15h et 16h, ce qui empiète sur notre journée de travail […] Nous faisons face à des contraintes de tous ordres : qu’elles soient financières, logistiques ou commerciales» déplore Eugène N’Diaye.

L’eau est considérée comme une denrée essentielle et la demande augmente de façon exponentielle, pourtant le producteur n’est pas en mesure d’y répondre. « Notre entreprise est en pleine croissance, mais nous avons atteint le maximum de nos capacités », explique-t-il, précisant avoir acheté de nouvelles lignes de production, actuellement bloquées en Chine. En termes de vente, cette complication logistique représenterait un manque à gagner sur les ventes, de l’ordre de 25% à 30%. Plus grave encore, les conséquences sur les collaborateurs de La Casamançaise pourraient à court terme s’avérer catastrophiques.

« Sans activité, l’entreprise dispose d’une autonomie de 2 mois pour payer les salariés », concède Eugène N’Diaye. « Nous voulons plus que des déclarations politiques. Nous attendons une explication de texte très claire et le plus vite possible. Qui aura le droit à ces 1 000 Milliards de francs CFA du plan Force Covid-19 ? Sous quelle échéance et selon quels critères d’éligibilité ? Nous demandons transparence et efficacité. C’est beaucoup demander à nos administrations, mais il faut le faire », alerte-t-il. Dans les faits, avec 8 milliards de francs CFA mobilisés à ce jour, auprès du secteur privé sur les 1000 milliards du plan Force-Covid 19, l’immédiateté de ces aides reste encore un vœu pieux. C’est la raison pour laquelle, le président Macky Sall a sollicité dans l’urgence, une aide de 221 millions de dollars auprès du FMI, le 2 avril dernier.

Le télétravail, nouvelle source de frustration professionnelle

Assombrissant les perspectives économiques et bouleversant les pratiques internes, la crise du Coronavirus a conduit les entrepreneurs africains à s’orienter vers la dématérialisation de leurs services. « On a enregistré une hausse significative du recours au télétravail au sein des entreprises dotées des infrastructures technologiques appropriées. Ce réajustement a généré une surveillance exacerbée des salariés, créant de nouvelles frustrations. La relation de confiance entre le manager et le salarié est sérieusement impactée », a constaté Alioune Camara, directeur du cabinet de ressources humaines Endeleo Consulting basé à Abidjan, qui opère dans toute la sous-région. Le télétravail mesurant avec précision les compétences et la productivité de chaque salarié, «le cas échéant, cela permettra d’optimiser la masse salariale. C’est inévitable, car la crise est majeure même si la question ne se posera qu’à l’issue de la crise sanitaire, car pour l’instant, il n’est pas question de licenciement, mais de maintenir les capacités de production », précise-t-il.

Pour le directeur d’Endeleo, cette crise a surtout fait resurgir la sempiternelle question de la montée en puissance des économies africaines et des systèmes de production en cycle court. « A chaque grande crise, on craint pour l’Afrique qui reste trop exposée aux marchés extérieurs. Il faut que cette crise nous permette de réagir pour sortir enfin de cette hyper-dépendance », conclut-il pragmatiqueUne position partagée par de nombreux acteurs, à la veille de l’opérationnalisation tant attendue, de la zone de libre-échange continentale africaine (Zleca) qui semble soudainement relayée au second plan des priorités, avec l’arrivée de cette menace sanitaire majeure qui devrait faire chuter la croissance africaine de 3.2% à 1.8%, selon les prospectives de la Commission économique pour l’Afrique (CEA).

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